Nommé dans trois catégories aux Victoires de la musique (ce soir sur France 2), le chanteur atypique recueille, à 63 ans, les fruits d’une carrière sur la route. Il nous a reçus dans sa maison du Jura.
EMMANUEL MAROLLE | Publié le 03.03.2012, 09h25
C’est là, près de Dole, entre Dijon et Besançon, que le chanteur s’est posé il y a près de vingt-cinq ans dans un village de 90 habitants. « C’est grâce à Lorelei », explique-t-il pour commencer. Soit « Lorelei Sebasto Cha », son premier tube en 1983, son premier luxe, ses premiers impôts aussi. « Je n’en payais pas jusque-là, j’étais monté à Paris avec un sac à dos et ma guitare bleue pour jouer dans les cabarets. » L’instrument est toujours là dans son bureau, une dépendance avec vue sur la forêt de Chaux.
Sur le mur, trônent quelques figures tutélaires : papa, maman, Dylan, Ferré. Les Stones ne sont pas loin. Thiéfaine sort une dédicace. « Je suis ami avec le patron de leur fan-club français, qui a donné à Keith Richards, leur guitariste, l’un de mes disques. Et il m’a fait ce petit mot : Ravi d’avoir été une source d’inspiration pour une si belle musique. » Dans la pièce d’à côté, il a accroché ses nombreux disques d’or. « Je l’ai fait pour une émission de télé. La journaliste : Vous pourriez installer vos deux disques d’or. Elle a été vexée quand elle a vu qu’il y en avait beaucoup plus. »
On lui demande où il rangera son futur trophée. Il botte en touche. Pourtant, à 63 ans, après quatre décennies de carrière, Thiéfaine a enfin de grandes chances d’être sacré aux Victoires de la musique. « C’est flatteur. Avec cela, on va peut-être arrêter d’écrire Thiéfaine avec ph. Mais je n’aime pas ces cérémonies. Je n’en ai pas besoin pour avoir un public. »
Il redoute l’agitation, loin de ce confortable corps de ferme réaménagé sur un terrain de près de deux hectares. « Je gagne bien ma vie, mais ici, comme les gens ne me connaissent pas, ne me voient pas, ils pensent que j’ai hérité. » Au contraire, Thiéfaine a acheté pour fuir la capitale, revenir aux sources de la Franche-Comté, près de Dole où il est né. « J’ai visité cette maison, un jour de pluie, de grisaille. Je me rappelle avoir tapé dans mes mains, dans le jardin. Il n’y avait pas un bruit. Au début, je n’osais pas prendre ma guitare pour ne pas déranger le silence. » Aujourd’hui, il aime ça, n’écoute plus trop de musique à part du classique et des bizarreries comme Gavin Bryars ou Brian Eno, malgré une belle discothèque qui trône dans son salon. Une maison rangée pour un Thiéfaine un rien maniaque. « Je n’aime pas me salir les doigts, c’est pour cela que je ne suis pas peintre. La propreté, c’est important. Pour peu que j’aie un peu de fouillis dans ma tête, si je range, ça va mieux. » Il y a trois ans, tout était sens dessus dessous dans son esprit. La faute à des tournées sans fin, « 220 chambres d’hôtel différentes par an », des Zénith chaque soir, voire Bercy.
« Je prenais des tas de trucs pour tenir le coup. J’étais totalement schizophrène, j’avais un pied dans la folie. Je voulais en finir. » Le chanteur est hospitalisé puis reste convalescent plus d’un an et écrit « Suppléments de mensonge », son album de la renaissance, sorti l’an passé, celui pour lequel les Victoires de la musique ont enfin pensé à lui.
« J’avais été quand même nommé une fois pour le précédent, mais la vraie récompense, c’est de vivre de ma musique. Je me sens terriblement artiste. Et j’ai du mal à vivre avec les gens qui ne le sont pas. Je suis un marginal. » Sa femme Francine est sa manageuse et la productrice de ses tournées marathon, le plus jeune de ses deux fils, Lucas, 19 ans, a monté son groupe à Dijon. Les autres peuvent passer leur chemin. Il ne soutiendra aucun candidat à la présidentielle et votera sans doute blanc, comme souvent. Pour les Victoires, par contre, beaucoup ont probablement glissé son nom dans l’enveloppe.
Le Parisien