lundi 13 août 2012

Le Maroc se dote du premier laboratoire de virologie public certifié ISO 9001


Le centre Hospitalier Ibn Sina (CHIS) vient de se doter du premier laboratoire de virologie public du Maroc certifié ISO 9001. L’inauguration officielle aura lieu mercredi 15 Août 2012 avec présentation de la grille des nouvelles prestations qu’offre ce laboratoire central de virologie (LCV), qui se faisaient auparavant, uniquement dans des laboratoires Européens, notamment des examens en rapport avec le diagnostic et le suivi thérapeutique de maladies graves telles que les hépatites virales B et le Sida ainsi que les activités de greffes d’organes et de tissus. Ce laboratoire est équipé d’un système informatique connecté aux services cliniques prescripteurs, afin de leur transmettre les résultats en temps réel. 
Les deux grands axes d’activités du laboratoire Central de virologie du centre hospitalier Ibn Sina sont la sérologie virale et la biologie moléculaire, indique Pr. Ahmed Essaid Alaoui, responsable du laboratoire central de virologie. La sérologie virale permet le dépistage des maladies virales à l’occasion d’un bilan biologique effectué dans le cadre d’un don de sang, d’organes ou de tissus, ainsi que dans le cadre d’un bilan prénuptial ou lors d’une grossesse. La sérologie virale permet par ailleurs de déterminer le statut immunitaire d’un patient, comme c’est le cas par exemple pour le dosage d’anticorps spécifiques, dans le cadre de l’évaluation de l’efficacité d’une vaccination contre le virus de l’hépatite B. La sérologie virale permet également d’établir le diagnostic d’autres maladies virales hépatiques (hépatites virales A, B, C, D, E), HIV du Sida, des maladies virales infantiles (Rougeole, Oreillons, ….,..), des infections respiratoires virales ainsi que des gastroentérites virales 
Le deuxième secteur du laboratoire central de virologie du CHIS concerne la biologie moléculaire en particulier les techniques de PCR en temps réel. Ces techniques consistent à amplifier, détecter et quantifier le génome des virus. Elles sont indiquées en complément de la sérologie dans le cadre du diagnostic de maladies virales comme les hépatites virales, les méningites virales, les infections virales respiratoires ... . La biologie moléculaire s’inscrit également dans le suivi pronostique et ou thérapeutique d’un patient infecté par un virus. Elle permet d’établir une surveillance des infections virales et de leur traitement chez les sujets immunodéprimés. La biologie moléculaire permet également de déterminer l’évolution de l’infection virale à travers l’évaluation du niveau de réplication des virus par la mesure de la charge virale avant, à l’occasion d’un traitement ou après traitement (infection par HIV, hépatite virale B, C, ……. La biologie moléculaire trouve également son intérêt dans le cadre du dépistage et du suivi de virus impliqués dans le développement de cancers comme c’est le cas pour le virus HPV (Human papillomavirus) dans le cancer du col de l’utérus, ainsi que d’autres virus susceptibles d’être à l’origine de cancers hépatique. La virologie est une discipline indispensable en matière de greffe d’organes et de tissus. La sérologie virale permet en effet la qualification du donneur et du receveur et la biologie moléculaire permet le suivi des patients greffés.
Il faut rappeler que le Laboratoire Central de virologie du CHIS s’inscrit dans le cadre des projets stratégiques du CHIS relatifs à sa politique qualité, à la centralisation des laboratoires d’analyses médicales, au développement des projets de greffe d’organes et de tissus et surtout ainsi que toutes les activités de soins tertiaires et de pôles d’excellence. Le laboratoire central de virologie du CHIS est le premier laboratoire médical public certifié ISO9001v2008 et le premier laboratoire hospitalier civil de Virologie au Maroc., tient à préciser Pr. Al Mountacer CHEFCHAOUNI, directeur du CHIS. Le laboratoire central de virologie du CHIS déploie ses activités sur 2 sites. Un site situé à l’hôpital Ibn Sina où sont réalisées les prestations de sérologie virale et un site situé à l’hôpital des spécialités où sont réalisées les prestations de biologie moléculaire ainsi que le complément des activités de sérologie virale (immunofluorescence pour la détection des virus respiratoires, confirmation de l’infection HIV par technique Western Blot, …). 
Le laboratoire central de virologie du CHIS dispose sur ses 2 sites d’équipements dédiés et d’automates de sérologie virale, de plateformes ouverte et fermée de biologie moléculaire, reliées par un système informatique connecté aux services cliniques prescripteurs, afin de leur transmettre les résultats en temps réel. 

Témoignages. Ces Marocain(e)s qui disent non

Témoignages. Ces Marocain(e)s qui disent non
(DR)
4 + 9 = 13. Quatre hommes et neuf femmes ont accepté de témoigner, à visage découvert, de leur révolution personnelle, intime, singulière. Ils sont jeunes et inconnus pour la plupart. Ils ressemblent à tout le monde et à tous les autres, mais ils ne font pas et ne pensent pas forcément comme les autres. Ils sont différents. En invitant ces voix à s’exprimer, TelQuel met en avant la différence comme source de richesse. Il s’agit de prêter attention et d’écouter ces individus, ces voix plurielles, sincères, ces femmes et ces hommes dont les témoignages peuvent parfois surprendre, heurter, mais très souvent toucher et inviter à la réflexion. Bonne lecture… K.B

Aadel Essaadani, 45 ans, militant et acteur culturel
“Je ne me cache pas pour boire”
Beaucoup de nos compatriotes boivent de l’alcool mais ne l’assument pas. Ce comportement incarne, à sa manière, la schizophrénie du sous-développement et perdure car l’individu n’existe pas encore véritablement chez nous. Le Marocain moyen préfère cultiver une image de “saint”, en famille comme en société. Et quand il succombe à des tentations humaines, il préfère se cacher pour ne pas heurter. En ce qui me concerne, je refuse de me cacher pour boire, ni même d’utiliser ces fameux sacs en plastique noir dans lesquels les marchands d’alcool emballent les bouteilles. Ces mikate sont l’emblème même de blad schizo : tout le monde sait qu’elles contiennent du vin, de la bière ou du whisky, mais tout le monde fait semblant de ne rien voir. Et la situation devient pathétique lorsque la personne qui a ces mikate entre les mains tombe sur des flics ; ces derniers ne se soucient pas tant de la dimension halal/haram que d’obtenir leur part du gâteau...
Personnellement, je me suis révolté tout petit contre cet état de fait, qui veut qu’on peut tout faire à condition de ne jamais rien dire ou montrer. Observant la dichotomie comportementale des adultes, je ne comprenais pas qu’ils n’assument pas un fait que nul n’ignorait. Je considérais ces non-dits et cette hypocrisie comme un manque de courage, de lâcheté pure et simple. Le Maroc est un pays à références multiples, depuis des siècles. Un pays ouvert à la modernité et sûr de ses origines et références. Mais il y a aujourd’hui une tendance à hiérarchiser les références, entre tradition et modernité, par exemple ! Le gouvernement et les institutionnels placent l’islam comme référence supérieure et donnent la légitimité, dans une démarche populiste, aux pratiquants de décider des comportements des autres... Il y a là de quoi nourrir les bases d’une éventuelle “guerre civile”, dès lors que l’on met sur la balance le respect des minorités, des libertés individuelles... et l’islam. Sans oser parler de laïcité ou de sécularisation.
Leila Hafyane , 36 ans, écrivain
“Je ne cache pas mes amours”
J’ai rendez-vous avec mon homme, l’aimé d’un été, et ça se voit. Il m’attend chez moi. Mon arrivée réveille le gardien de voitures de ma rue. Il me voit. Je me gare. Il sort de sa torpeur et m’indique une place. Ses grands gestes m’agacent : bien sûr que je l’ai vue ! Comment aurais-je pu la rater ? C’est la seule place de libre devant l’immeuble. Il s’approche, m’ouvre la portière et me demande comment je me porte depuis la dernière fois. “Ghbrti ! Tu as disparu !” Le voilà perquisitionnant l’espace, mon espace et ma vie privée. Il poursuit : “Votre ami est arrivé, depuis une heure déjà”.  Il hoche la tête dans la direction du balcon du premier étage, avec un sourire, un sourire très large dans lequel on peut accrocher une bonne poignée de qualificatifs. Je souris aussi à la complicité imposée. Je souris de son intrusion dans mes amours. Il ferme ma portière. Me voilà escortée —de quel droit ?— par un jeune sans âge. “Tu devrais attendre que Lhaj (concierge) aille prier avant de passer la porte de l’immeuble. L3asr est dans quelques minutes”, insiste-t-il. Le sourire verdit, en rictus, s’évanouit. Je dois donc rendre des comptes au concierge aussi ? Pas question pour moi de la jouer en catimini ! “T’inquiète pas pour moi”, dis-je pour contrer son pas, son verbe. Dans ma tête, je pense : “Tu as l’air très jeune et ton regard te vieillit, il est vide comme le compte que tu veux que je rende, de mes actes rangés, de mon être effacé, au père, au frère et aux anonymes mâles qui peuplent les rues”. à quelle limite de cette folie ordinaire cherchent-ils à nous traîner ? Biaiser toujours, biaiser tout le temps, jusqu’à l’épuisement, la mort, c’est ce que vous voulez de nous. Mais je refuse d’entrer dans ce jeu de dupes, baisser la tête, fuir les regards sous prétexte que j’ai rendez-vous avec un homme chez moi. C’est moi, c’est lui et cela ne regarde que nous. Il y a longtemps que j’ai dit STOP, SAFI, BARAKA à cette hypocrisie. Libre comme l’air, l’air de rien, tout simplement. Malgré vous. J’arrive devant l’immeuble. Je dis salam au concierge à la barbe rousse et crépue. J’envoie mon doigt écraser le bouton de l’interphone, comme j’aimerai écraser ses lamentations funèbres. De son poste de contrôle, le vieux fusille mes sandales d’une salve de griefs, sa gueule tirée traîne par terre, il marmonne un “A3oudou billah mina chaytane rajjime” clair et audible. C’est son baroud d’honneur contre la femme que je suis, contre le désir qui ondule sous mes talons, papillonne sous ma jupe, réverbère mon souffle. Je l’ignore, je m’assume et monte rejoindre mon homme.
Ibtissam Betty Lachgar, 36 ans, psychologue clinicienne – psychothérapeute
“Je ne fais pas le ramadan”
L’inquisition socio-religieuse et les dispositions juridiques iniques étouffent ma liberté. Le mois de ramadan, par exemple, même s’il n’est pourtant qu’une des parties visibles de l’iceberg. L’article colonial 222 (établi par le maréchal Lyautey) condamne de 1 à 6 mois de prison ferme “toute personne notoirement connue pour son appartenance à l’islam” qui rompt ostensiblement le jeûne en public. Cet article est d’un fascisme scandaleux. Qui décide de qui est musulman et de qui ne l’est pas ? Quels sont les critères ? Le nom ? Le faciès ? La loi du Talion ? Par ailleurs, je ne suis pas croyante, je ne suis pas musulmane, je ne me sens donc pas concernée. Mais je refuse les contraintes sociétales, donc religieuses. Depuis septembre 2009, l’étiquette de membre des “déjeuneurs du ramadan” me colle à la peau. J’ai reçu des insultes, des menaces et des tentatives d’intimidation, suite à l’organisation avec d’autres membres de MALI (Mouvement alternatif pour les libertés individuelles) d’un pique-nique, que nous voulions, je le rappelle, symbolique. Et non pas seulement de la part d’inconnus, mais aussi de la part de membres de mon entourage. Mais j’assume mon acte. Parce que je refuse l’atteinte à mon libre-arbitre. Je refuse l’infantilisation. La religion relève de la sphère privée et ne doit en aucun cas concerner l’Etat. Je suis pour la séparation de la religion et de l’Etat, je suis pour un Etat séculier. Je refuse toute forme de discrimination. Je refuse la législation marocaine outrageusement inégalitaire, véritable spoliation en matière d’héritage par exemple. Je refuse l’article 19 de la Constitution “L’homme et la femme jouissent, à égalité, des droits et libertés (…) dans le respect des dispositions de la Constitution, des constantes et des lois du Royaume”. Comprendre “dans le respect de l’islam”. Je refuse l’unique possibilité, sectaire, pour la femme d’épouser un musulman. Je refuse donc la seule voie du mariage religieux et prône l’existence d’un mariage civil. Je refuse une loi divine supérieure. Je refuse l’article de loi moyenâgeux condamnant les rapports sexuels hors mariage au nom de la religion. Je refuse l’ensemble des lois liberticides, homophobes, misogynes et patriarcales. Un archaïsme rampant qui gangrène la société. Je respecte les croyances de chacun, mais je refuse qu’un Etat (le Maroc en l’occurrence) m’impose un mode de vie fondé sur des préceptes religieux qui ne sont pas les miens.
Imane E. Arouet, 24 ans, responsable éditoriale
“Je suis athée”
à24 ans, je fête les dix ans de mon apostasie. Dix ans que j’ai peu à peu sombré dans un déisme voltairien avant de basculer vers un athéisme convaincu, réfléchi, alimenté de lectures philosophiques et théologiques. Dix ans que je me heurte à un rejet de la part d’une partie de mes concitoyens. à mesure que mes doutes se formaient et que mes questionnements se formulaient, j’ai progressivement été victime d’un réel ostracisme. Je n’étais pas prise au sérieux, je ne pouvais qu’être une “paumée”, infréquentable de surcroît. Ma curiosité était qualifiée de “foi fragile”, de manipulation démoniaque. C’est l’ennui, dans un pays musulman : dès lors qu’elles touchent au religieux, l’honnêteté intellectuelle et la volonté sincère de ne pas passer pour ce qu’on n’est pas sont assimilées à une corruption démoniaque et à une décadence éhontée. à Casablanca, où l’hypocrisie sociale est à son comble, il est parfaitement convenu et socialement accepté d’être un “mauvais” musulman, au sens strict. Convenu de ne pas prier, de boire, tant d’actions qu’un “bon” musulman rechignerait à faire. Pourtant, quand il s’agit de poser quelques questions, les gens sont mal à l’aise ou ouvertement hostiles, injurieux, certains n’hésitant pas à rappeler que le meurtre d’un apostat est légitime aux yeux de Dieu. En particulier, une chronique pour le site d’actualités Slate.fr (Moi, Arabe, athée), m’a valu beaucoup de mails haineux et de menaces de mort. Je continue cependant d’assumer mon scepticisme religieux sur Internet, principalement parce que je reçois également des messages de soutien, de la part d’une minorité silencieuse qui me remercie de parler en son nom. Dans la vie de tous les jours, j’assume également pour des raisons pratiques : cette apostasie, à force d’être socialement combattue, est devenue une composante principale de ma personnalité. L’omettre reviendrait à mentir. Je pense avoir le droit de jouir d’un entourage qui m’accepte telle que je suis : ça ne pose donc pas de soucis à mon cercle d’amis dans sa configuration actuelle. Côté famille, c’est plus compliqué. Ma très pieuse mère voit d’un œil désespéré mon désintérêt pour la chose religieuse et ne cesse, avec une bienveillance relative, de me rappeler à l’ordre en espérant que je retrouve “le droit chemin” (Allah yehdik). Le reste de ma famille, croyante, a le bon goût bienvenu de ne pas (trop) opiner sur le sujet.
Rayan Benhayoun, 23 ans, étudiant en école de commerce
“Je ne cache pas mon homosexualité”
Je me suis rendu compte de mon homosexualité vers l’âge de 12 ans. Je n’avais jamais eu de sentiments pour une fille, je ne me sentais pas comme un garçon de mon âge dit “normal”. à ce moment-là, j’ai su que j’étais différent. Que j’étais gay, et que je ne l’avais pas choisi. Et c’est à partir de là que j’ai commis, je pense, l’une des plus grosses erreurs de ma vie. J’ai nié, j’ai refoulé. Depuis ce jour, j’ai vécu une véritable torture mentale. J’y pensais tout le temps. Et j’effectuais un énorme travail sur mon mental. Je me forçais à être hétérosexuel. Bien entendu, cela n’aboutissait pas. J’ai fait mon “coming-out” à 16 ans, non pas par courage mais plutôt par lassitude. Je n’en pouvais plus de vivre dans l’hypocrisie et dans le mensonge tout le temps. J’en avais marre de cacher ce mal-être, et de me cacher derrière ce masque de “Rayan mec tout à fait banal”. Je n’avais plus envie d’être un lâche ! Pour les membres de ma famille, cela a été le choc de leur vie. Cette révélation a eu l’effet d’une bombe, et j’ai entendu les propos les plus violents et les plus horribles de toute ma vie. Ce n’est qu’après un exil et des années écoulées que notre relation a renoué avec la normalité. L’homosexualité ne se vit clairement pas de la même manière partout. Au Maroc, elle pâtit encore d’images réductrices et caricaturales. L’État et la société sont homophobes. L’homosexualité est un délit puni de trois ans d’emprisonnement. Je suis très en colère contre mon pays qui ne respecte pas la Charte des droits de l’homme qu’il a signée, qui ne me permet pas de vivre dans la dignité et me traite comme un citoyen de seconde zone, alors que j’ai les mêmes obligations que les autres. Je sais que l’égalité des droits n’est pas pour bientôt, surtout au sein d’une société largement homophobe et hypocrite, qui n’est pas assez mature intellectuellement pour faire preuve de tolérance et penser à l’être humain qu’est tout homosexuel.
Hind Bariaz, 35 ans, professeur d’anglais
“J’ai le droit d’avorter si je le souhaite”
Mon corps m’appartient et l’avortement est mon droit. Je le dis et je le crie haut et fort, d’autant que je l’ai vécu. J’ai avorté et je ne m’en cache pas. Mon compagnon et moi étions très sereins face à cette décision, que nous avons prise d’un commun accord, car avoir un enfant ne correspondait simplement pas à nos projets et cette grossesse était un “accident”. Nous avons donc réagi en adultes et de manière pragmatique. Notre seul vrai souci était de réunir la somme nécessaire pour avorter, ce qui était loin d’être facile vu le prix de l’opération, et de trouver un médecin qui accepte de le faire. “Il suffit d’écouter les femmes”, affirmait Simone Veil, en 1974, pour défendre au parlement français le projet de loi pour légaliser l’avortement. Des milliers de femmes avortaient clandestinement chaque année à l époque en France, comme elles continuent de le faire au Maroc. Des milliers de femmes subissent ainsi la solitude, la souffrance physique et l’opprobre de toute une société. Simone Veil parlait pour toutes ces femmes qui, dans leur immense majorité, se taisaient. Comme chez nous. II suffit d’écouter les femmes... Mais encore faut-il qu’elles parlent. Aujourd’hui, moi je le fais. Pour toutes celles qui se sont fait avorter. Pour leur détresse. Pour qu’elles n’aient plus à subir cette terrible angoisse et la culpabilité. Pour qu’on ne trouve plus de bébés dans les poubelles. Pour qu’elles ne meurent plus en s’empoisonnant avec des herbes, ou en s’enfonçant des aiguilles à tricoter parce qu’elles n’ont pas trouvé 3000 dirhams pour payer leur avortement chez un médecin. Pour la liberté d’aimer. De vivre. Chez nous, on crie au meurtre dès qu’on parle d’avortement en oubliant vite les milliers d’enfants abandonnés dans la rue. En conclusion, j’aimerais reprendre ce bon mot de Guy Bedos : “Si on écoutait les opposants à l’avortement, on tricoterait des brassières aux spermatozoïdes”.
Zineb El Rhazoui, 31 ans, journaliste
“J’aurais pu épouser un juif”
On s’entend, c’est dans une autre vie que ça aurait pu arriver ! Ou plus justement, dans un autre pays. Au Maroc, il ne suffit pas de s’aimer et de vouloir s’unir pour le meilleur et pour le pire… Le code du statut personnel vient se mêler de la vie des gens, et surtout de leur foi. Quand bien même elle le souhaiterait, il est interdit pour une Marocaine d’épouser un homme de confession non musulmane, même s’il s’agit d’un compatriote. En revanche, un Marocain peut épouser la femme de son choix… Pourtant, cette loi prétendument basée sur les préceptes coraniques contredit clairement le verset 221 de la sourate de la Génisse qui traite de la question du mariage avec les non-musulmans. Ce verset s’adresse indistinctement aux hommes et aux femmes, en leur enjoignant qu’il est “préférable” d’épouser une personne “croyante”. Les juifs sont croyants à ce que je sache ! Pour ma part, j’ai vécu une très belle histoire avec un juif marocain, un homme qui a beaucoup compté pour moi. Je ne suis pas croyante, et l’appartenance religieuse n’entre absolument pas en ligne de compte pour moi lorsqu’il s’agit de choisir mon partenaire. Je peux être bien plus épanouie avec un juif qui partage mes convictions plutôt qu’avec un musulman à qui tout m’opposerait. Si les circonstances n’en avaient pas décidé autrement, j’aurais parfaitement pu l’épouser. C’est interdit au Maroc, mais nous aurions bien trouvé une parade juridique, sans qu’il ne fasse une conversion de complaisance à l’islam, comme l’exige hypocritement la loi. Le film Marock a défrayé la chronique parce qu’il relate l’histoire d’amour d’une adolescente musulmane avec un adolescent juif, pourtant, il ne s’agit pas d’un cas si isolé que l’on pourrait penser. Ce n’est pas non plus un épiphénomène réservé à la jeunesse dorée, il suffit de faire un tour dans les amphithéâtres des universités parisiennes, où nos compatriotes musulmans et juifs se côtoient, pour constater qu’au-delà des clivages communautaires, ces amours extra-canoniques s’épanouissent librement. Certes, les choses se compliquent au moment de rentrer au bercail, mais je connais bien quelques couples, entre Casablanca et Rabat, qui ont adopté pour philosophie de vie la maxime “vivons heureux, vivons cachés”.
Farah Abdelmoumni, 23 ans, étudiante en communication
“Je suis contre le voile”
Récemment, la mère d’une amie m’a dit : “Farah, tu es une fille droite, avec beaucoup de belles choses en toi. Quel dommage que tu ne sois pas mouhtajiba, autrement tu serais la fiancée parfaite pour mon fils…” Au début, j’ai cru qu’elle plaisantait. Et puis, à son air grave, j’ai compris que non. Cette remarque m’a atterrée. Non pas que je sois intéressée par le fameux bachelor, loin de moi cette idée. Mais j’étais triste de prendre conscience que le voile était pour elle un gage de respectabilité et de sérieux. J’ai compris alors pourquoi tant de filles absolument pas pieuses finissent par adopter cet arnachement de dévots. Pour pouvoir décrocher le gros lot, un 3riss digne de ce nom, elles essaient, en désespoir de cause, d’appliquer à la lettre le cahier des charges de la parfaite candidate au mariage. Un cahier des charges dicté par une société machiste et patriarcale, dont le seul souci est de donner des garanties, même illusoires, sur la pureté de la future mariée. Et cela passe de plus en plus par le voile. Mais ces filles qui se voilent se condamnent et condamnent la société marocaine à rester emprisonnée dans ses carcans conservateurs, rétrogrades. Taha Hussein a écrit : “Seules des femmes émancipées donneront des générations d’hommes libres”. Au Maroc, nos femmes sont loin d’être émancipées, au contraire, elles se positionnent en gardiennes du sérail. De mère en fille, en acceptant de se plier à des préceptes -tels que le voile- qui nient leur identité, ce qu’elles sont dans leur essence. Les femmes sont faites de chair et de formes et il n’y a aucune raison de les cacher sous prétexte qu’elles suscitent le désir et l’envie. Car ne nous leurrons pas, ceux qui défendent le voile ont avant tout un problème avec la sexualité. Mais cela, la majorité refuse de le reconnaître.
Porter un voile sur la tête, cacher ma chevelure, occulter tous les attributs qui donnent à voir au monde extérieur que je suis une fille est une aberration à laquelle je refuse de me plier. Certes, je n’ai pas eu à me rebeller contre les miens puisque j’ai grandi dans un milieu où la liberté de conscience a toujours été le maître-mot. Mais tous les jours, lorsque je marche, les cheveux aux vents et le corps dévoilé, je suis harcelée, agressée. Pourquoi devrait-on subir ça en tant que femme ? Et pourquoi, pour avoir la paix, la seule solution serait de porter un zif sur la tête ? Pourquoi ce ne serait pas plutôt aux hommes de changer le regard qu’ils portent sur nous ?
Yasmine Ghallab, 50 ans, professeur de mathémathiques
“J’ai eu un enfant sans être mariée”
Il m’est souvent arrivé de faire des choix de vie jugés peu communs. Et celui d’adopter un enfant, en tant que mère célibataire, a été le plus important. Cette idée a germé doucement avant de céder à une décision qui a été longuement mûrie. Un jour, une amie m’apprend avoir adopté, avec son mari, ses 3 enfants dans un orphelinat de Tanger. J’ai commencé alors à voir le balbutiement de mon projet. Elle me dit tellement de bien de cet endroit que j’ai décidé de m’y rendre. A l’été 2009, alors que je venais d’emménager, j’ai alors décidé de visiter l’orphelinat. J’ai été agréablement surprise et j’ai su tout de suite que c’est de là que j’allais adopter. Les enfants y étaient bien portants et bien traités, par une équipe remarquable. En mai 2010, j’ai alors fixé un rendez-vous pour m’inscrire en liste d’attente. Je pensais que cela prendrait 2 mois et me permettrait de me préparer. Je venais à peine de rentrer auprès de la directrice qu’elle demandait déjà à son assistant de lui amener un bébé de 3 semaines, arrivé peu avant ma prise de rendez-vous. Je reçus ce petit bébé dans les bras, tout à fait surprise de la tournure des évènements, précipités et inattendus. La directrice m’expliquait que, grâce à la Kafala provisoire, je pourrais avoir l’enfant dans 15 jours. Je suis sortie du bureau avec le bébé endormi dans mes bras mais sans avoir pu dire un mot. J’ai passé le week-end à l’orphelinat et l’ai quitté en donnant ma confirmation d’adoption du petit Hadi. Les procédures de la Kafala définitive et de changement de nom (Hadi porte mon nom) ont pris environ une année. Ce projet de vie a fait le tri dans mes relations, entre celles qui m’accompagnent et me soutiennent, et celles qui ne le font pas. J’ai aussi connu d’autres amies, certaines célibataires, d’autres divorcées qui ont fait ce choix pour réaliser leur envie d’adoption. Aujourd’hui, mon fils Hadi a 2 ans. Il est de tempérament gai, marrant et a l’air bien heureux et épanoui. De mon côté, si cette décision a chamboulé ma vie, je suis pleinement heureuse de cet évènement. Pour moi, la famille est essentielle et je veux en donner une à Hadi. Mon prochain projet est d’adopter un autre enfant. Dernièrement, j’ai reçu ma première carte de Fête des mères. La vie est bien belle !
Nizar Bennamate, 26 ans, journaliste
“Je refuse l’idée d’être musulman de naissance”
Certes, nous héritons tous de la religion de nos parents. Mais arrive un moment où chacun doit s’interroger et user de son intelligence pour trancher, faire ses choix. Non, la liberté de conscience n’est pas l’affaire d’une minorité, elle doit être l’affaire de tout le monde. En commençant par les Marocains qui désirent pratiquer leur religion sans la tutelle de l’état fixant la Sunna et le rite malékite comme doctrines officielles, en passant par les salafistes qui puisent dans le wahhabisme, ceux qui souhaitent se convertir à une autre religion, ou encore ceux qui ne veulent appartenir à aucune. Tout le monde est concerné par cette liberté puisqu’elle concerne l’intimité de chacun. Dès que l’on retire aux citoyens la liberté de pratiquer leur religion comme ils l’entendent, ou de n’en pratiquer aucune, la brèche est ouverte à une série d’interprétations aussi diverses que contradictoires de ce que devrait être le fait religieux. La plupart des Marocains ne se reconnaissent ni dans les fatwas d’Al Qaradaoui, ni dans les envolées lyriques de Fizazi, et encore moins dans les décisions du Conseil des ouléma. Les Marocains veulent pratiquer la religion comme leur conscience le leur dicte, sans tutelle aucune. En un mot, avec une autonomie de jugement. Une chose qui m’a toujours marqué : alors que l’alcool est censé être interdit aux musulmans, la majorité de ceux qui le consomment sont musulmans ou réputés comme tels. Quelle relation me diriez-vous ? La reconnaissance de la liberté de conscience ferait que l’état n’interviendrait plus dans la sphère de la spiritualité individuelle (qui relève de la sphère privée). Et donc les lois à vocation publique ne prendront plus en considération l’appartenance religieuse. Sans quoi, elles deviendraient contradictoires avec ce même principe de liberté de conscience. Pour moi, la foi est par définition un choix qui ne doit jamais être fait sous la contrainte. Le fait de ne pas reconnaître cette évidence revient à renier la réalité de l’être humain.
Omar Louzi, 47 ans, consultant en environnement et développement durable
“Je ne suis pas contre l’Etat d’Israël”
Je suis allé en Israël et en Palestine. Et j’ai compris que les peuples israélien et palestinien veulent vivre en paix, et que ce sont les politiciens de tous bords qui perpétuent le conflit. Le drame israélo-palestinien dure car il est basé sur deux visions racistes de ce conflit. Je suis un humaniste, donc je suis pour deux Etats indépendants, souverains. Je suis contre l’extrémisme de Hamas et de celui des Israéliens intégristes. Je milite pour une paix juste et équitable. Je suis toujours choqué quand je vois un enfant, une femme, ou un vieillard tués, qu’ils soient palestiniens ou israéliens. Je considère d’ailleurs que j’ai plus d’affinités culturelles et linguistiques avec les juifs amazighs d’Israël qu’avec les Palestiniens. Nous célébrons les mêmes fêtes, et nous mangeons tous les deux le couscous et le tajine, deux inventions purement amazighes nord-africaines… C’est pour cela que je milite pour qu’ils reviennent dans leur pays d’origine : le Maroc. Je propose que l’Etat d’Israël rende leurs terres aux Palestiniens en contrepartie du rapatriement du million de juifs amazighs qui vivent en Israël. Ces juifs amazighs veulent rentrer au Maroc, retrouver les odeurs, les paysages de leur enfance. Et cela malgré presque 60 ans d’exil. Ils continuent à parler le tamazight avec beaucoup de bonheur. Alors que ceux que j’appelle les panarabistes marocains, qui sont ici depuis quatorze siècles, peinent même à dire “bonjour” en amazigh. C’est une honte ! Oui, je suis anti-panarabiste. Parce que le panarabisme est une idéologie raciste, fasciste, qui repose sur la suprématie de l’homme, de la langue et de la culture arabes. Les Palestiniens n’auront jamais leur indépendance s’ils continuent à lier le conflit avec Israël à leur race arabe. Moi, je ne suis pas arabe ! Alors dois-je être solidaire avec le peuple palestinien ? Moi je dis oui. Mais c’est du fait de ma position humaniste. Tout comme j’ai été solidaire avec Aung San Suu Kyi, l’opposante birmane, ou avec Nelson Mandela. Je dis aux Palestiniens de laisser leur race et leur religion à part, et de mobiliser le monde sur les bases des droits humains et du droit à l’autodétermination qui existent dans les chartes internationales. Le droit international tranchera un jour.
Fatym Layachi, 29 ans, comédienne
“Je refuse de cacher mon corps”
Jamais je ne renierai mon corps. Ce corps que j’ai montré dans mon dernier film, Femme écrite. Non pas par impudeur, non pas par inconscience ou gratuité. Tout le contraire. Le réalisateur Lahcen Zinoun m’a offert un rôle sublime, un rôle de femme, berbère et tatouée. Un rôle qui raconte cette mémoire que l’on efface. Un rôle qui raconte ces histoires qui s’écrivaient dans la chair. Bien sûr, j’ai ma pudeur. J’ai même des complexes par dizaines. Je suis cette fille qui reste en paréo. Et je suis aussi cette fille qui a bien lu dans les magazines comment tricher entre les couleurs et les matières pour cacher ses défauts. Alors, oui, ce n’était pas tout le temps simple de montrer sa chair. Je l’ai fait. Assumant chacun de mes actes devant la caméra, faisant bien plus confiance à mon réalisateur qu’à moi-même. Mon corps vit. Me fait vivre. Me fait ressentir. Me fait être ce que je suis. Ce que je suis. Bien sûr je ne suis pas que ça. Mais bien sûr je suis d’abord ça. Et je ne peux pas être moi si je cache ce que je suis. Oui j’ai un visage. Et en plus j’ai choisi un métier où je le montre. Oui j’ai des lèvres. Et en plus je parle. Je dis ce que je pense et quelques bêtises. Oui j’ai des yeux. Et en plus j’aime bien le khôl et des fois je pleure alors ça coule un peu. Oui je me perche sur hauts talons, juste parce que je trouve ça plus joli. Je suis mes blessures, mes égratignures et mes cicatrices. Je suis mes cheveux et cette frange que je coupe moi-même avec des ciseaux de cuisine sous le regard inquiet de ma copine. Je suis mes bras que j’aimerai bronzés toute l’année. Je suis mes jambes qui malgré la mode n’aiment pas beaucoup les jeans slims. Je suis mes mains et mes pieds dont je prends extrêmement soin car l’assurance se trouve parfois dans l’éclat du vernis à ongles. Et jamais je ne renierai mes veines dans lesquelles coule mon sang. Jamais je ne renierai ma chair sur laquelle j’ai ancré mes rêves de gamine et mes délires d’adolescente. Et que ceux à qui ça ne plait pas baissent les yeux. Car moi je ne les baisserai pas.
Aymane Aouidi, 23 ans, militant associatif
“Je suis contre le Makhzen”
Avec l’avènement du Printemps de la jeunesse marocaine, une jeunesse qui rêve d’un Maroc où règne la liberté et la justice sociale, je ne peux que constater que le principal verrou au progrès de notre pays c’est la mafia makhzénienne. Comment accepter que le Maroc —qui possède d’importantes réserves de phosphates et des terres agricoles très fertiles— soit plongé dans de telles difficultés économiques ? Malgré toutes ces richesses, nous constatons que des milliards sont gaspillés dans des affaires de corruption, que le taux de pauvreté reste très élevé et qu’une grande partie de la population rurale est privée du service public le plus élémentaire, comme l’eau, l’électricité et l’école. En outre, nous faisons face à un chômage endémique, dont le taux ne cesse d’augmenter. Ceci signifie que le Makhzen mène une politique discriminatoire en matière d’embauche, qui n’est que le résultat d’un système d’enseignement inégalitaire. Le Makhzen, dans ce qu’il a de plus archaïque, a répliqué par une politique répressive, violente, aux mouvements sociaux. Au lieu d’accéder aux revendications légitimes du peuple, il oppose la loi du bâton. En ce qui concerne l’exercice de la politique dans notre pays, si l’on n’est pas approuvé par le Makhzen, autrement, si l’on n’est pas un chantre du pouvoir, il ne faut pas rêver de se faire une place. C’est le Makhzen qui supervise les élections de façade, comme cela a été le cas pour la Constitution taillée à sa mesure. Pour toutes ces raisons, je pense qu’il faut isoler le Makhzen en continuant la lutte pour une constitution démocratique et pour qu’enfin cesse l’impunité de ceux qui ont commis des crimes politiques et économiques.

Témoignages. Ces Marocain(e)s qui disent non

Témoignages. Ces Marocain(e)s qui disent non
(DR)
4 + 9 = 13. Quatre hommes et neuf femmes ont accepté de témoigner, à visage découvert, de leur révolution personnelle, intime, singulière. Ils sont jeunes et inconnus pour la plupart. Ils ressemblent à tout le monde et à tous les autres, mais ils ne font pas et ne pensent pas forcément comme les autres. Ils sont différents. En invitant ces voix à s’exprimer, TelQuel met en avant la différence comme source de richesse. Il s’agit de prêter attention et d’écouter ces individus, ces voix plurielles, sincères, ces femmes et ces hommes dont les témoignages peuvent parfois surprendre, heurter, mais très souvent toucher et inviter à la réflexion. Bonne lecture… K.B

Aadel Essaadani, 45 ans, militant et acteur culturel
“Je ne me cache pas pour boire”
Beaucoup de nos compatriotes boivent de l’alcool mais ne l’assument pas. Ce comportement incarne, à sa manière, la schizophrénie du sous-développement et perdure car l’individu n’existe pas encore véritablement chez nous. Le Marocain moyen préfère cultiver une image de “saint”, en famille comme en société. Et quand il succombe à des tentations humaines, il préfère se cacher pour ne pas heurter. En ce qui me concerne, je refuse de me cacher pour boire, ni même d’utiliser ces fameux sacs en plastique noir dans lesquels les marchands d’alcool emballent les bouteilles. Ces mikate sont l’emblème même de blad schizo : tout le monde sait qu’elles contiennent du vin, de la bière ou du whisky, mais tout le monde fait semblant de ne rien voir. Et la situation devient pathétique lorsque la personne qui a ces mikate entre les mains tombe sur des flics ; ces derniers ne se soucient pas tant de la dimension halal/haram que d’obtenir leur part du gâteau...
Personnellement, je me suis révolté tout petit contre cet état de fait, qui veut qu’on peut tout faire à condition de ne jamais rien dire ou montrer. Observant la dichotomie comportementale des adultes, je ne comprenais pas qu’ils n’assument pas un fait que nul n’ignorait. Je considérais ces non-dits et cette hypocrisie comme un manque de courage, de lâcheté pure et simple. Le Maroc est un pays à références multiples, depuis des siècles. Un pays ouvert à la modernité et sûr de ses origines et références. Mais il y a aujourd’hui une tendance à hiérarchiser les références, entre tradition et modernité, par exemple ! Le gouvernement et les institutionnels placent l’islam comme référence supérieure et donnent la légitimité, dans une démarche populiste, aux pratiquants de décider des comportements des autres... Il y a là de quoi nourrir les bases d’une éventuelle “guerre civile”, dès lors que l’on met sur la balance le respect des minorités, des libertés individuelles... et l’islam. Sans oser parler de laïcité ou de sécularisation.
Leila Hafyane , 36 ans, écrivain
“Je ne cache pas mes amours”
J’ai rendez-vous avec mon homme, l’aimé d’un été, et ça se voit. Il m’attend chez moi. Mon arrivée réveille le gardien de voitures de ma rue. Il me voit. Je me gare. Il sort de sa torpeur et m’indique une place. Ses grands gestes m’agacent : bien sûr que je l’ai vue ! Comment aurais-je pu la rater ? C’est la seule place de libre devant l’immeuble. Il s’approche, m’ouvre la portière et me demande comment je me porte depuis la dernière fois. “Ghbrti ! Tu as disparu !” Le voilà perquisitionnant l’espace, mon espace et ma vie privée. Il poursuit : “Votre ami est arrivé, depuis une heure déjà”.  Il hoche la tête dans la direction du balcon du premier étage, avec un sourire, un sourire très large dans lequel on peut accrocher une bonne poignée de qualificatifs. Je souris aussi à la complicité imposée. Je souris de son intrusion dans mes amours. Il ferme ma portière. Me voilà escortée —de quel droit ?— par un jeune sans âge. “Tu devrais attendre que Lhaj (concierge) aille prier avant de passer la porte de l’immeuble. L3asr est dans quelques minutes”, insiste-t-il. Le sourire verdit, en rictus, s’évanouit. Je dois donc rendre des comptes au concierge aussi ? Pas question pour moi de la jouer en catimini ! “T’inquiète pas pour moi”, dis-je pour contrer son pas, son verbe. Dans ma tête, je pense : “Tu as l’air très jeune et ton regard te vieillit, il est vide comme le compte que tu veux que je rende, de mes actes rangés, de mon être effacé, au père, au frère et aux anonymes mâles qui peuplent les rues”. à quelle limite de cette folie ordinaire cherchent-ils à nous traîner ? Biaiser toujours, biaiser tout le temps, jusqu’à l’épuisement, la mort, c’est ce que vous voulez de nous. Mais je refuse d’entrer dans ce jeu de dupes, baisser la tête, fuir les regards sous prétexte que j’ai rendez-vous avec un homme chez moi. C’est moi, c’est lui et cela ne regarde que nous. Il y a longtemps que j’ai dit STOP, SAFI, BARAKA à cette hypocrisie. Libre comme l’air, l’air de rien, tout simplement. Malgré vous. J’arrive devant l’immeuble. Je dis salam au concierge à la barbe rousse et crépue. J’envoie mon doigt écraser le bouton de l’interphone, comme j’aimerai écraser ses lamentations funèbres. De son poste de contrôle, le vieux fusille mes sandales d’une salve de griefs, sa gueule tirée traîne par terre, il marmonne un “A3oudou billah mina chaytane rajjime” clair et audible. C’est son baroud d’honneur contre la femme que je suis, contre le désir qui ondule sous mes talons, papillonne sous ma jupe, réverbère mon souffle. Je l’ignore, je m’assume et monte rejoindre mon homme.
Ibtissam Betty Lachgar, 36 ans, psychologue clinicienne – psychothérapeute
“Je ne fais pas le ramadan”
L’inquisition socio-religieuse et les dispositions juridiques iniques étouffent ma liberté. Le mois de ramadan, par exemple, même s’il n’est pourtant qu’une des parties visibles de l’iceberg. L’article colonial 222 (établi par le maréchal Lyautey) condamne de 1 à 6 mois de prison ferme “toute personne notoirement connue pour son appartenance à l’islam” qui rompt ostensiblement le jeûne en public. Cet article est d’un fascisme scandaleux. Qui décide de qui est musulman et de qui ne l’est pas ? Quels sont les critères ? Le nom ? Le faciès ? La loi du Talion ? Par ailleurs, je ne suis pas croyante, je ne suis pas musulmane, je ne me sens donc pas concernée. Mais je refuse les contraintes sociétales, donc religieuses. Depuis septembre 2009, l’étiquette de membre des “déjeuneurs du ramadan” me colle à la peau. J’ai reçu des insultes, des menaces et des tentatives d’intimidation, suite à l’organisation avec d’autres membres de MALI (Mouvement alternatif pour les libertés individuelles) d’un pique-nique, que nous voulions, je le rappelle, symbolique. Et non pas seulement de la part d’inconnus, mais aussi de la part de membres de mon entourage. Mais j’assume mon acte. Parce que je refuse l’atteinte à mon libre-arbitre. Je refuse l’infantilisation. La religion relève de la sphère privée et ne doit en aucun cas concerner l’Etat. Je suis pour la séparation de la religion et de l’Etat, je suis pour un Etat séculier. Je refuse toute forme de discrimination. Je refuse la législation marocaine outrageusement inégalitaire, véritable spoliation en matière d’héritage par exemple. Je refuse l’article 19 de la Constitution “L’homme et la femme jouissent, à égalité, des droits et libertés (…) dans le respect des dispositions de la Constitution, des constantes et des lois du Royaume”. Comprendre “dans le respect de l’islam”. Je refuse l’unique possibilité, sectaire, pour la femme d’épouser un musulman. Je refuse donc la seule voie du mariage religieux et prône l’existence d’un mariage civil. Je refuse une loi divine supérieure. Je refuse l’article de loi moyenâgeux condamnant les rapports sexuels hors mariage au nom de la religion. Je refuse l’ensemble des lois liberticides, homophobes, misogynes et patriarcales. Un archaïsme rampant qui gangrène la société. Je respecte les croyances de chacun, mais je refuse qu’un Etat (le Maroc en l’occurrence) m’impose un mode de vie fondé sur des préceptes religieux qui ne sont pas les miens.
Imane E. Arouet, 24 ans, responsable éditoriale
“Je suis athée”
à24 ans, je fête les dix ans de mon apostasie. Dix ans que j’ai peu à peu sombré dans un déisme voltairien avant de basculer vers un athéisme convaincu, réfléchi, alimenté de lectures philosophiques et théologiques. Dix ans que je me heurte à un rejet de la part d’une partie de mes concitoyens. à mesure que mes doutes se formaient et que mes questionnements se formulaient, j’ai progressivement été victime d’un réel ostracisme. Je n’étais pas prise au sérieux, je ne pouvais qu’être une “paumée”, infréquentable de surcroît. Ma curiosité était qualifiée de “foi fragile”, de manipulation démoniaque. C’est l’ennui, dans un pays musulman : dès lors qu’elles touchent au religieux, l’honnêteté intellectuelle et la volonté sincère de ne pas passer pour ce qu’on n’est pas sont assimilées à une corruption démoniaque et à une décadence éhontée. à Casablanca, où l’hypocrisie sociale est à son comble, il est parfaitement convenu et socialement accepté d’être un “mauvais” musulman, au sens strict. Convenu de ne pas prier, de boire, tant d’actions qu’un “bon” musulman rechignerait à faire. Pourtant, quand il s’agit de poser quelques questions, les gens sont mal à l’aise ou ouvertement hostiles, injurieux, certains n’hésitant pas à rappeler que le meurtre d’un apostat est légitime aux yeux de Dieu. En particulier, une chronique pour le site d’actualités Slate.fr (Moi, Arabe, athée), m’a valu beaucoup de mails haineux et de menaces de mort. Je continue cependant d’assumer mon scepticisme religieux sur Internet, principalement parce que je reçois également des messages de soutien, de la part d’une minorité silencieuse qui me remercie de parler en son nom. Dans la vie de tous les jours, j’assume également pour des raisons pratiques : cette apostasie, à force d’être socialement combattue, est devenue une composante principale de ma personnalité. L’omettre reviendrait à mentir. Je pense avoir le droit de jouir d’un entourage qui m’accepte telle que je suis : ça ne pose donc pas de soucis à mon cercle d’amis dans sa configuration actuelle. Côté famille, c’est plus compliqué. Ma très pieuse mère voit d’un œil désespéré mon désintérêt pour la chose religieuse et ne cesse, avec une bienveillance relative, de me rappeler à l’ordre en espérant que je retrouve “le droit chemin” (Allah yehdik). Le reste de ma famille, croyante, a le bon goût bienvenu de ne pas (trop) opiner sur le sujet.
Rayan Benhayoun, 23 ans, étudiant en école de commerce
“Je ne cache pas mon homosexualité”
Je me suis rendu compte de mon homosexualité vers l’âge de 12 ans. Je n’avais jamais eu de sentiments pour une fille, je ne me sentais pas comme un garçon de mon âge dit “normal”. à ce moment-là, j’ai su que j’étais différent. Que j’étais gay, et que je ne l’avais pas choisi. Et c’est à partir de là que j’ai commis, je pense, l’une des plus grosses erreurs de ma vie. J’ai nié, j’ai refoulé. Depuis ce jour, j’ai vécu une véritable torture mentale. J’y pensais tout le temps. Et j’effectuais un énorme travail sur mon mental. Je me forçais à être hétérosexuel. Bien entendu, cela n’aboutissait pas. J’ai fait mon “coming-out” à 16 ans, non pas par courage mais plutôt par lassitude. Je n’en pouvais plus de vivre dans l’hypocrisie et dans le mensonge tout le temps. J’en avais marre de cacher ce mal-être, et de me cacher derrière ce masque de “Rayan mec tout à fait banal”. Je n’avais plus envie d’être un lâche ! Pour les membres de ma famille, cela a été le choc de leur vie. Cette révélation a eu l’effet d’une bombe, et j’ai entendu les propos les plus violents et les plus horribles de toute ma vie. Ce n’est qu’après un exil et des années écoulées que notre relation a renoué avec la normalité. L’homosexualité ne se vit clairement pas de la même manière partout. Au Maroc, elle pâtit encore d’images réductrices et caricaturales. L’État et la société sont homophobes. L’homosexualité est un délit puni de trois ans d’emprisonnement. Je suis très en colère contre mon pays qui ne respecte pas la Charte des droits de l’homme qu’il a signée, qui ne me permet pas de vivre dans la dignité et me traite comme un citoyen de seconde zone, alors que j’ai les mêmes obligations que les autres. Je sais que l’égalité des droits n’est pas pour bientôt, surtout au sein d’une société largement homophobe et hypocrite, qui n’est pas assez mature intellectuellement pour faire preuve de tolérance et penser à l’être humain qu’est tout homosexuel.
Hind Bariaz, 35 ans, professeur d’anglais
“J’ai le droit d’avorter si je le souhaite”
Mon corps m’appartient et l’avortement est mon droit. Je le dis et je le crie haut et fort, d’autant que je l’ai vécu. J’ai avorté et je ne m’en cache pas. Mon compagnon et moi étions très sereins face à cette décision, que nous avons prise d’un commun accord, car avoir un enfant ne correspondait simplement pas à nos projets et cette grossesse était un “accident”. Nous avons donc réagi en adultes et de manière pragmatique. Notre seul vrai souci était de réunir la somme nécessaire pour avorter, ce qui était loin d’être facile vu le prix de l’opération, et de trouver un médecin qui accepte de le faire. “Il suffit d’écouter les femmes”, affirmait Simone Veil, en 1974, pour défendre au parlement français le projet de loi pour légaliser l’avortement. Des milliers de femmes avortaient clandestinement chaque année à l époque en France, comme elles continuent de le faire au Maroc. Des milliers de femmes subissent ainsi la solitude, la souffrance physique et l’opprobre de toute une société. Simone Veil parlait pour toutes ces femmes qui, dans leur immense majorité, se taisaient. Comme chez nous. II suffit d’écouter les femmes... Mais encore faut-il qu’elles parlent. Aujourd’hui, moi je le fais. Pour toutes celles qui se sont fait avorter. Pour leur détresse. Pour qu’elles n’aient plus à subir cette terrible angoisse et la culpabilité. Pour qu’on ne trouve plus de bébés dans les poubelles. Pour qu’elles ne meurent plus en s’empoisonnant avec des herbes, ou en s’enfonçant des aiguilles à tricoter parce qu’elles n’ont pas trouvé 3000 dirhams pour payer leur avortement chez un médecin. Pour la liberté d’aimer. De vivre. Chez nous, on crie au meurtre dès qu’on parle d’avortement en oubliant vite les milliers d’enfants abandonnés dans la rue. En conclusion, j’aimerais reprendre ce bon mot de Guy Bedos : “Si on écoutait les opposants à l’avortement, on tricoterait des brassières aux spermatozoïdes”.
Zineb El Rhazoui, 31 ans, journaliste
“J’aurais pu épouser un juif”
On s’entend, c’est dans une autre vie que ça aurait pu arriver ! Ou plus justement, dans un autre pays. Au Maroc, il ne suffit pas de s’aimer et de vouloir s’unir pour le meilleur et pour le pire… Le code du statut personnel vient se mêler de la vie des gens, et surtout de leur foi. Quand bien même elle le souhaiterait, il est interdit pour une Marocaine d’épouser un homme de confession non musulmane, même s’il s’agit d’un compatriote. En revanche, un Marocain peut épouser la femme de son choix… Pourtant, cette loi prétendument basée sur les préceptes coraniques contredit clairement le verset 221 de la sourate de la Génisse qui traite de la question du mariage avec les non-musulmans. Ce verset s’adresse indistinctement aux hommes et aux femmes, en leur enjoignant qu’il est “préférable” d’épouser une personne “croyante”. Les juifs sont croyants à ce que je sache ! Pour ma part, j’ai vécu une très belle histoire avec un juif marocain, un homme qui a beaucoup compté pour moi. Je ne suis pas croyante, et l’appartenance religieuse n’entre absolument pas en ligne de compte pour moi lorsqu’il s’agit de choisir mon partenaire. Je peux être bien plus épanouie avec un juif qui partage mes convictions plutôt qu’avec un musulman à qui tout m’opposerait. Si les circonstances n’en avaient pas décidé autrement, j’aurais parfaitement pu l’épouser. C’est interdit au Maroc, mais nous aurions bien trouvé une parade juridique, sans qu’il ne fasse une conversion de complaisance à l’islam, comme l’exige hypocritement la loi. Le film Marock a défrayé la chronique parce qu’il relate l’histoire d’amour d’une adolescente musulmane avec un adolescent juif, pourtant, il ne s’agit pas d’un cas si isolé que l’on pourrait penser. Ce n’est pas non plus un épiphénomène réservé à la jeunesse dorée, il suffit de faire un tour dans les amphithéâtres des universités parisiennes, où nos compatriotes musulmans et juifs se côtoient, pour constater qu’au-delà des clivages communautaires, ces amours extra-canoniques s’épanouissent librement. Certes, les choses se compliquent au moment de rentrer au bercail, mais je connais bien quelques couples, entre Casablanca et Rabat, qui ont adopté pour philosophie de vie la maxime “vivons heureux, vivons cachés”.
Farah Abdelmoumni, 23 ans, étudiante en communication
“Je suis contre le voile”
Récemment, la mère d’une amie m’a dit : “Farah, tu es une fille droite, avec beaucoup de belles choses en toi. Quel dommage que tu ne sois pas mouhtajiba, autrement tu serais la fiancée parfaite pour mon fils…” Au début, j’ai cru qu’elle plaisantait. Et puis, à son air grave, j’ai compris que non. Cette remarque m’a atterrée. Non pas que je sois intéressée par le fameux bachelor, loin de moi cette idée. Mais j’étais triste de prendre conscience que le voile était pour elle un gage de respectabilité et de sérieux. J’ai compris alors pourquoi tant de filles absolument pas pieuses finissent par adopter cet arnachement de dévots. Pour pouvoir décrocher le gros lot, un 3riss digne de ce nom, elles essaient, en désespoir de cause, d’appliquer à la lettre le cahier des charges de la parfaite candidate au mariage. Un cahier des charges dicté par une société machiste et patriarcale, dont le seul souci est de donner des garanties, même illusoires, sur la pureté de la future mariée. Et cela passe de plus en plus par le voile. Mais ces filles qui se voilent se condamnent et condamnent la société marocaine à rester emprisonnée dans ses carcans conservateurs, rétrogrades. Taha Hussein a écrit : “Seules des femmes émancipées donneront des générations d’hommes libres”. Au Maroc, nos femmes sont loin d’être émancipées, au contraire, elles se positionnent en gardiennes du sérail. De mère en fille, en acceptant de se plier à des préceptes -tels que le voile- qui nient leur identité, ce qu’elles sont dans leur essence. Les femmes sont faites de chair et de formes et il n’y a aucune raison de les cacher sous prétexte qu’elles suscitent le désir et l’envie. Car ne nous leurrons pas, ceux qui défendent le voile ont avant tout un problème avec la sexualité. Mais cela, la majorité refuse de le reconnaître.
Porter un voile sur la tête, cacher ma chevelure, occulter tous les attributs qui donnent à voir au monde extérieur que je suis une fille est une aberration à laquelle je refuse de me plier. Certes, je n’ai pas eu à me rebeller contre les miens puisque j’ai grandi dans un milieu où la liberté de conscience a toujours été le maître-mot. Mais tous les jours, lorsque je marche, les cheveux aux vents et le corps dévoilé, je suis harcelée, agressée. Pourquoi devrait-on subir ça en tant que femme ? Et pourquoi, pour avoir la paix, la seule solution serait de porter un zif sur la tête ? Pourquoi ce ne serait pas plutôt aux hommes de changer le regard qu’ils portent sur nous ?
Yasmine Ghallab, 50 ans, professeur de mathémathiques
“J’ai eu un enfant sans être mariée”
Il m’est souvent arrivé de faire des choix de vie jugés peu communs. Et celui d’adopter un enfant, en tant que mère célibataire, a été le plus important. Cette idée a germé doucement avant de céder à une décision qui a été longuement mûrie. Un jour, une amie m’apprend avoir adopté, avec son mari, ses 3 enfants dans un orphelinat de Tanger. J’ai commencé alors à voir le balbutiement de mon projet. Elle me dit tellement de bien de cet endroit que j’ai décidé de m’y rendre. A l’été 2009, alors que je venais d’emménager, j’ai alors décidé de visiter l’orphelinat. J’ai été agréablement surprise et j’ai su tout de suite que c’est de là que j’allais adopter. Les enfants y étaient bien portants et bien traités, par une équipe remarquable. En mai 2010, j’ai alors fixé un rendez-vous pour m’inscrire en liste d’attente. Je pensais que cela prendrait 2 mois et me permettrait de me préparer. Je venais à peine de rentrer auprès de la directrice qu’elle demandait déjà à son assistant de lui amener un bébé de 3 semaines, arrivé peu avant ma prise de rendez-vous. Je reçus ce petit bébé dans les bras, tout à fait surprise de la tournure des évènements, précipités et inattendus. La directrice m’expliquait que, grâce à la Kafala provisoire, je pourrais avoir l’enfant dans 15 jours. Je suis sortie du bureau avec le bébé endormi dans mes bras mais sans avoir pu dire un mot. J’ai passé le week-end à l’orphelinat et l’ai quitté en donnant ma confirmation d’adoption du petit Hadi. Les procédures de la Kafala définitive et de changement de nom (Hadi porte mon nom) ont pris environ une année. Ce projet de vie a fait le tri dans mes relations, entre celles qui m’accompagnent et me soutiennent, et celles qui ne le font pas. J’ai aussi connu d’autres amies, certaines célibataires, d’autres divorcées qui ont fait ce choix pour réaliser leur envie d’adoption. Aujourd’hui, mon fils Hadi a 2 ans. Il est de tempérament gai, marrant et a l’air bien heureux et épanoui. De mon côté, si cette décision a chamboulé ma vie, je suis pleinement heureuse de cet évènement. Pour moi, la famille est essentielle et je veux en donner une à Hadi. Mon prochain projet est d’adopter un autre enfant. Dernièrement, j’ai reçu ma première carte de Fête des mères. La vie est bien belle !
Nizar Bennamate, 26 ans, journaliste
“Je refuse l’idée d’être musulman de naissance”
Certes, nous héritons tous de la religion de nos parents. Mais arrive un moment où chacun doit s’interroger et user de son intelligence pour trancher, faire ses choix. Non, la liberté de conscience n’est pas l’affaire d’une minorité, elle doit être l’affaire de tout le monde. En commençant par les Marocains qui désirent pratiquer leur religion sans la tutelle de l’état fixant la Sunna et le rite malékite comme doctrines officielles, en passant par les salafistes qui puisent dans le wahhabisme, ceux qui souhaitent se convertir à une autre religion, ou encore ceux qui ne veulent appartenir à aucune. Tout le monde est concerné par cette liberté puisqu’elle concerne l’intimité de chacun. Dès que l’on retire aux citoyens la liberté de pratiquer leur religion comme ils l’entendent, ou de n’en pratiquer aucune, la brèche est ouverte à une série d’interprétations aussi diverses que contradictoires de ce que devrait être le fait religieux. La plupart des Marocains ne se reconnaissent ni dans les fatwas d’Al Qaradaoui, ni dans les envolées lyriques de Fizazi, et encore moins dans les décisions du Conseil des ouléma. Les Marocains veulent pratiquer la religion comme leur conscience le leur dicte, sans tutelle aucune. En un mot, avec une autonomie de jugement. Une chose qui m’a toujours marqué : alors que l’alcool est censé être interdit aux musulmans, la majorité de ceux qui le consomment sont musulmans ou réputés comme tels. Quelle relation me diriez-vous ? La reconnaissance de la liberté de conscience ferait que l’état n’interviendrait plus dans la sphère de la spiritualité individuelle (qui relève de la sphère privée). Et donc les lois à vocation publique ne prendront plus en considération l’appartenance religieuse. Sans quoi, elles deviendraient contradictoires avec ce même principe de liberté de conscience. Pour moi, la foi est par définition un choix qui ne doit jamais être fait sous la contrainte. Le fait de ne pas reconnaître cette évidence revient à renier la réalité de l’être humain.
Omar Louzi, 47 ans, consultant en environnement et développement durable
“Je ne suis pas contre l’Etat d’Israël”
Je suis allé en Israël et en Palestine. Et j’ai compris que les peuples israélien et palestinien veulent vivre en paix, et que ce sont les politiciens de tous bords qui perpétuent le conflit. Le drame israélo-palestinien dure car il est basé sur deux visions racistes de ce conflit. Je suis un humaniste, donc je suis pour deux Etats indépendants, souverains. Je suis contre l’extrémisme de Hamas et de celui des Israéliens intégristes. Je milite pour une paix juste et équitable. Je suis toujours choqué quand je vois un enfant, une femme, ou un vieillard tués, qu’ils soient palestiniens ou israéliens. Je considère d’ailleurs que j’ai plus d’affinités culturelles et linguistiques avec les juifs amazighs d’Israël qu’avec les Palestiniens. Nous célébrons les mêmes fêtes, et nous mangeons tous les deux le couscous et le tajine, deux inventions purement amazighes nord-africaines… C’est pour cela que je milite pour qu’ils reviennent dans leur pays d’origine : le Maroc. Je propose que l’Etat d’Israël rende leurs terres aux Palestiniens en contrepartie du rapatriement du million de juifs amazighs qui vivent en Israël. Ces juifs amazighs veulent rentrer au Maroc, retrouver les odeurs, les paysages de leur enfance. Et cela malgré presque 60 ans d’exil. Ils continuent à parler le tamazight avec beaucoup de bonheur. Alors que ceux que j’appelle les panarabistes marocains, qui sont ici depuis quatorze siècles, peinent même à dire “bonjour” en amazigh. C’est une honte ! Oui, je suis anti-panarabiste. Parce que le panarabisme est une idéologie raciste, fasciste, qui repose sur la suprématie de l’homme, de la langue et de la culture arabes. Les Palestiniens n’auront jamais leur indépendance s’ils continuent à lier le conflit avec Israël à leur race arabe. Moi, je ne suis pas arabe ! Alors dois-je être solidaire avec le peuple palestinien ? Moi je dis oui. Mais c’est du fait de ma position humaniste. Tout comme j’ai été solidaire avec Aung San Suu Kyi, l’opposante birmane, ou avec Nelson Mandela. Je dis aux Palestiniens de laisser leur race et leur religion à part, et de mobiliser le monde sur les bases des droits humains et du droit à l’autodétermination qui existent dans les chartes internationales. Le droit international tranchera un jour.
Fatym Layachi, 29 ans, comédienne
“Je refuse de cacher mon corps”
Jamais je ne renierai mon corps. Ce corps que j’ai montré dans mon dernier film, Femme écrite. Non pas par impudeur, non pas par inconscience ou gratuité. Tout le contraire. Le réalisateur Lahcen Zinoun m’a offert un rôle sublime, un rôle de femme, berbère et tatouée. Un rôle qui raconte cette mémoire que l’on efface. Un rôle qui raconte ces histoires qui s’écrivaient dans la chair. Bien sûr, j’ai ma pudeur. J’ai même des complexes par dizaines. Je suis cette fille qui reste en paréo. Et je suis aussi cette fille qui a bien lu dans les magazines comment tricher entre les couleurs et les matières pour cacher ses défauts. Alors, oui, ce n’était pas tout le temps simple de montrer sa chair. Je l’ai fait. Assumant chacun de mes actes devant la caméra, faisant bien plus confiance à mon réalisateur qu’à moi-même. Mon corps vit. Me fait vivre. Me fait ressentir. Me fait être ce que je suis. Ce que je suis. Bien sûr je ne suis pas que ça. Mais bien sûr je suis d’abord ça. Et je ne peux pas être moi si je cache ce que je suis. Oui j’ai un visage. Et en plus j’ai choisi un métier où je le montre. Oui j’ai des lèvres. Et en plus je parle. Je dis ce que je pense et quelques bêtises. Oui j’ai des yeux. Et en plus j’aime bien le khôl et des fois je pleure alors ça coule un peu. Oui je me perche sur hauts talons, juste parce que je trouve ça plus joli. Je suis mes blessures, mes égratignures et mes cicatrices. Je suis mes cheveux et cette frange que je coupe moi-même avec des ciseaux de cuisine sous le regard inquiet de ma copine. Je suis mes bras que j’aimerai bronzés toute l’année. Je suis mes jambes qui malgré la mode n’aiment pas beaucoup les jeans slims. Je suis mes mains et mes pieds dont je prends extrêmement soin car l’assurance se trouve parfois dans l’éclat du vernis à ongles. Et jamais je ne renierai mes veines dans lesquelles coule mon sang. Jamais je ne renierai ma chair sur laquelle j’ai ancré mes rêves de gamine et mes délires d’adolescente. Et que ceux à qui ça ne plait pas baissent les yeux. Car moi je ne les baisserai pas.
Aymane Aouidi, 23 ans, militant associatif
“Je suis contre le Makhzen”
Avec l’avènement du Printemps de la jeunesse marocaine, une jeunesse qui rêve d’un Maroc où règne la liberté et la justice sociale, je ne peux que constater que le principal verrou au progrès de notre pays c’est la mafia makhzénienne. Comment accepter que le Maroc —qui possède d’importantes réserves de phosphates et des terres agricoles très fertiles— soit plongé dans de telles difficultés économiques ? Malgré toutes ces richesses, nous constatons que des milliards sont gaspillés dans des affaires de corruption, que le taux de pauvreté reste très élevé et qu’une grande partie de la population rurale est privée du service public le plus élémentaire, comme l’eau, l’électricité et l’école. En outre, nous faisons face à un chômage endémique, dont le taux ne cesse d’augmenter. Ceci signifie que le Makhzen mène une politique discriminatoire en matière d’embauche, qui n’est que le résultat d’un système d’enseignement inégalitaire. Le Makhzen, dans ce qu’il a de plus archaïque, a répliqué par une politique répressive, violente, aux mouvements sociaux. Au lieu d’accéder aux revendications légitimes du peuple, il oppose la loi du bâton. En ce qui concerne l’exercice de la politique dans notre pays, si l’on n’est pas approuvé par le Makhzen, autrement, si l’on n’est pas un chantre du pouvoir, il ne faut pas rêver de se faire une place. C’est le Makhzen qui supervise les élections de façade, comme cela a été le cas pour la Constitution taillée à sa mesure. Pour toutes ces raisons, je pense qu’il faut isoler le Makhzen en continuant la lutte pour une constitution démocratique et pour qu’enfin cesse l’impunité de ceux qui ont commis des crimes politiques et économiques.

Le double séisme en Iran fait 306 morts et 3.037 blessés


Le double séisme de magnitude 6,3 et 6,4 ayant frappé le nord-ouest de l'Iran a fait 306 morts en majorité des femmes et des enfants et 3.037 blessés, selon un nouveau bilan du ministère iranien de la Santé.
séisme en Iran
Le double séisme de magnitude 6,3 et 6,4 ayant frappé le nord-ouest de l'Iran a fait 306 morts en majorité des femmes et des enfants et 3.037 blessés, selon un nouveau bilan du ministère iranien de la Santé.

Parmi les corps placés dans les morgues des hô pitaux de la région montagneuse de Varzeghan, il y avait "219 femmes et enfants, et 49 hommes", soit un total de 268, a précisé la ministre de la Santé, Mme Marzieh Vahid Dastjerdi devant le Parlement, cité par le site du Majlis.

Les médias iraniens avaient rapporté dimanche que certains cadavres avaient été enterrés sur place sans être envoyés dans les morgues de la région. Sur les 3.037 blessés, "2.011 ont été soignés sur place" et les autres envoyés dans les hô pitaux de la région, a indiqué Mme Vahid Dastjerdi.

Selon le responsable de la cellule de crise du ministère de l'Intérieur, Hossein Ghadami,"la plupart des victimes ont perdu la vie aux premiers moments du séisme car de nombreuses maisons de la région sont en terre et, avec le poids des plafonds, les victimes n'ont eu aucune chance"..

"Notre priorité était de rechercher les survivants sous les décombres (...). Dimanche à 06H00 du matin, nous avons eu l'assurance qu'il n'y avait plus de corps et de survivants sous les décombres", a-t-il ajouté.

Le gouvernement a décidé d'apporter une aide rapide aux habitants de la région pour reconstruire leurs maisons.

Les deux séismes, dont les épicentres se trouvaient à Ahar et Varzeghan, ont frappé la région dans la province de l'Azerbaïdjan oriental à quelques minutes d'intervalles (16 h 53 et 17 h 04, heures locales), samedi. 

L'Iran est situé sur plusieurs failles sismiques importantes et a connu de nombreux tremblements de terre dévastateurs. Le séisme le plus meurtrier ces dernières années a tué 31 000 personnes, soit un quart de la population, dans la ville de Bam dans le sud du pays, en décembre 2003.

Histoire. Le Maroc avant l'islam

Histoire. Le Maroc avant l'islam
En 285, les Romains se replient et abandonnent le Maroc au profit des Vandales.
L’arrivée de l’islam au VIIème siècle est un moment fondateur et essentiel dans la formation de la nation marocaine. Mais avant que les troupes musulmanes n’atteignent les frontières du Maroc, ce dernier avait déjà une identité, une histoire et une spécificité géographique et culturelle. Retour sur les origines d’un vieux pays et une très ancienne nation.

De nombreux historiens marocains aiment rapporter, avec une certaine délectation, cette anecdote qui s’est déroulée dans la cour d’un calife abbasside à Bagdad. Un courtisan, croyant flatter le calife, explique à ce dernier que le monde ressemble à un immense oiseau, dont la tête se trouve en Orient, les deux ailes se déploient au Yémen et en Syrie, le cœur est en Irak, tandis que la queue se situe à son occident, le Maghreb. Un Marocain présent à la cour du calife intervient alors pour confirmer les propos du courtisan en disant : “Oui, le monde ressemble effectivement à un paon”, allusion faite au chatouillant et bel éventail de plumes que forme la queue du paon, la partie la plus noble de cet oiseau. Le calife a souri de la remarque de son hôte marocain et l’a récompensé, pour son mot d’esprit et sa fierté nationale. Comme l’indique cette anecdote, les Marocains ont toujours eu la conviction chevillée au corps d’appartenir à une entité géographique distincte et à une culture et une histoire spécifiques. Leur pays n’est pas exclusivement berbère, arabe, musulman, juif ou africain, mais il est tout ça à la fois. Un mélange, une synthèse.

Un pays mythiqueSon ancien nom, Al Maghrib Al Aqsa, l’Extrême Occident, traduit cette singularité et cette spécificité, même aux yeux des étrangers qui le percevaient comme une terre lointaine, excentrée, qui fascine et intrigue. Divers mythes et légendes expriment la curiosité que suscitait le “Far West” du monde : c’est là que vivait Atlas, le géant de la mythologie grecque, qui donne son nom à la chaîne de montagnes, condamné par Zeus, pour son insoumission, à porter sur ses puissantes épaules la voûte céleste. C’est à Tanger que Hercule a ouvert le détroit de Gibraltar en fendant d’un vigoureux coup d’épée deux montagnes, séparant ainsi définitivement l’Europe de l’Afrique. Et c’est dans cette contrée que les Atlantes, peuple mythique descendant du dieu de l’océan, se sont installés pour fonder un empire puissant qui s’étale, selon la légende, du Sénégal aux îles britanniques. L’histoire du Maroc, avant l’avènement de l’islam au 7ème siècle, démontre la spécificité culturelle et géographique du Maroc, “pays détaché de tout autre pays”, comme le décrivait Ibn Khaldoun. L’histoire ancienne démontre comment le Maroc s’est fait et formé de mélanges entre des vagues successives de races, de cultures, de religions et d’influences venant de tout horizon, et dont l’islam et l’arabité ne sont qu’une composante, essentielle et importante.

“Soukan al maghrib al awaloun”Sans remonter à des temps immémoriaux, il est généralement admis que les premiers habitants du Maroc sont les Berbères, un ensemble de populations apparues depuis plus de 9000 ans en Afrique du Nord suite à des vagues migratoires venues du Proche-Orient. Le déplacement de groupes venant d’Orient et leur installation au Maroc constituent une caractéristique de l’histoire du pays au fil des siècles. Un autre courant migratoire préhistorique est venu de la Méditerranée pour s’agréger et se fondre aux populations venues de l’Orient, pour donner aux habitants du Maroc et du Maghreb une originalité physique et culturelle.
Dans son monumental Histoire des Berbères, Ibn Khaldoun attribue l’origine du mot “berbère” à la difficulté des dialectes parlés par les populations du Maghreb, que les différents envahisseurs n’arrivaient pas à déchiffrer et comprendre. Le grand historien explique alors que le mot “barbara” en arabe signifie des cris incompréhensibles ainsi que les rugissements du lion. Ibn Khaldoun reprend dans son explication une origine plus ancienne du mot berbère, qui dérive du mot latin Barbarus, signifiant étranger à la langue et à la culture des Grecs, et désignant aussi les populations qui vivaient en dehors de l’empire romain.
La question de l’origine des Berbères a toujours été un enjeu crucial et important, qui dépassait le cadre de la connaissance scientifique. La recherche historique a été souvent mise à contribution pour servir des ambitions politiques et forger une vision idéologique de l’identité du Maroc et de son histoire. Ainsi, de nombreux auteurs colonialistes ont voulu prouver l’origine européenne des Berbères, en recourant parfois à des acrobaties scientifiques et des arguments vaseux. La présence de groupes au teint et aux yeux clairs dans certaines zones montagneuses du Maroc a été présentée comme la confirmation que les Berbères sont des descendants de tribus celtes venant du nord de l’Europe. Cette interprétation visait à légitimer la colonisation française en trouvant une origine ethnique commune avec la population autochtone et semer la division entre les Arabes et les Berbères. La recherche anthropologique et archéologique moderne a totalement démonté et invalidé l’hypothèse de l’origine européenne des Berbères, très en vogue sous la période coloniale.

Bienvenue chez les MauresDans l’Antiquité, la population berbère d’Afrique du Nord était appelée “les Libyens”. Ce nom recouvrait, chez les historiens grecs et romains, une vaste entité géographique qui s’étendait sur ce qui correspond de nos jours au “Grand Maghreb”. Connus pour leurs qualités militaires et guerrières, les Libyens, ou “les Lebou”, ont pu même accéder au pouvoir en Egypte, avec le roi Chéchonq 1er, pour fonder une nouvelle dynastie de pharaons en 950 avant J.-C. Cette date est considérée comme le début du calendrier berbère.
Mais un autre nom, plus précis, est apparu chez les auteurs grecs et romains pour désigner la population qui se situe à l’ouest de l’Afrique du Nord : les Maures. On ne connaît pas beaucoup de choses, à défaut de traces et de documents écrits, sur cet essaim de tribus berbères qui habitaient sur un territoire correspondant en grande partie au Maroc actuel. D’origine phénicienne, le mot Maures signifie “les Occidentaux” et servait à distinguer géographiquement ce territoire des autres régions d’Afrique du Nord. Le nom de ce peuple aura un autre destin, quand les Espagnols vont l’utiliser, suite à la fin de la présence musulmane en Andalousie, pour désigner ce que nous appelons de nos jours les Maghrébins. Située entre l’Atlantique et oued Moulouya, la population maure était composée essentiellement d’agriculteurs, de pasteurs et de nomades. Le contact avec les Phéniciens, qui ont installé des comptoirs et des escales dans différents endroits du Maroc, a permis aux tribus maures de développer des structures politiques et administratives qui se transforment à partir du IVème siècle avant J.-C en royaume. Les princes et les hauts fonctionnaires maures utilisaient le phénicien comme langue administrative et diplomatique, tandis que les différents dialectes berbères constituaient la langue d’échange entre les populations. La chute de Carthage, qui a entraîné l’effondrement de la puissance phénicienne et l’apparition de l’empire romain, a permis au royaume des Maures d’émerger et de sortir de l’ombre. Les rois maures vont alors entrer dans des alliances complexes avec les Romains pour élargir leur territoire au détriment des autres royaumes berbères d’Afrique du Nord, et notamment les voisins numides.

Jeu de rois…Pendant trois siècles, la dynastie des Bocchus a régné sur le pays des Maures, qui ressemblait beaucoup plus à une confédération de tribus dotée d’un chef qu’à une monarchie centralisée. La fondation du royaume des Maures et son étendue exacte demeurent peu connues en raison de la rareté et la quasi-inexistence même de documents écrits. Les quelques mentions qu’on retrouve chez des historiens romains permettent de croire qu’il s’agit d’un royaume qui s’étendait du nord du Maroc jusqu’à l’Atlas et dont l’oued Moulouya était une frontière naturelle qui le séparait de la Numidie, royaume berbère oriental, parfois allié et souvent concurrent.
Pendant longtemps, le royaume des Maures était ami et soutien des Romains dans leurs différentes luttes en Afrique du Nord. Ainsi, à la fin du IIIème siècle avant J.-C, le roi Baga a fourni à Scipion l’Africain, le célèbre général romain, des contingents de combattants pour livrer un combat final contre la puissante Carthage. La victoire des Romains sur Carthage et la destruction de cette dernière ont dessiné un nouveau visage de la Méditerranée et de l’Afrique du Nord. Un empire est né de cette victoire. L’alliance des Maures avec l’empire romain a permis à la dynastie des Bocchus d’étendre son royaume, de grignoter sur le territoire des voisins et de gagner en pouvoir et en influence. Le déclenchement d’un conflit, entre Rome et le royaume berbère de Numidie, a été une occasion saisie par les Bocchus pour étaler d’une façon spectaculaire le domaine des Maures.
C’est alors que vers 109 avant J.-C, Jugurtha, le jeune roi numide, refuse le plan proposé par Rome de partager son royaume entre différents héritiers, déclenchant ainsi une longue guerre avec les Romains. Jugurtha se tourne alors vers son voisin et beau-père Bocchus 1er, roi des Maures, pour l’aider et le soutenir dans son combat. Mais le roi maure, craignant une réaction dévastatrice de Rome et pensant d’abord à son propre intérêt politique, a fini par livrer son gendre Jugurtha à ses ennemis. La contrepartie de la trahison a été grande : Bocchus 1er a reçu des Romains toute la partie occidentale du royaume numide, qui s’étendait sur une grande partie de l’Algérie actuelle. Les nouveaux sujets des rois maures ont perdu progressivement leur ancienne appellation et le nom de leur royaume déchu, la Numidie, va disparaître pour devenir le pays des Maures.
Mais l’emprise des Romains ne cessera de grandir et leur contrôle sur l’Afrique du Nord atteindra des proportions considérables. La chute du royaume des Maures en l’an 40 avec l’assassinat de Ptolémée, le dernier souverain de la dynastie des Bocchus, a mis fin aux royaumes berbères et placé l’Afrique du Nord sous administration romaine directe.

L’exception culturellePays excentré, bordé de mers et traversé par de massives chaînes montagneuses, représentant peu d’intérêt économique pour les grandes puissances de l’époque, le Maroc antique n’a subi qu’une faible influence culturelle et politique de ses envahisseurs. Les Romains, les Vandales et les Byzantins ont pu successivement occuper le Maroc et empêcher la résurgence de royaumes berbères, mais sans parvenir à marquer profondément sa composition ethnique ou opérer des transformations radicales au niveau de son identité et sa culture. Seul l’islam et les vagues successives de migration arabe réussiront à s’agréger à la composante berbère et fonder les bases de la nation marocaine. Malgré une présence de plus de cinq siècles, les Romains n’ont marqué le Maroc que d’une façon superficielle et l’impact de leur colonisation a été très ténu. La région “Maurétanie tingitane” qui correspondait au Maroc, selon le découpage administratif romain, a été moins latinisée et moins imprégnée par la culture de l’empire, que l’Algérie et la Tunisie. L’occupation romaine est restée confinée à un territoire étroit dans certaines villes comme Tingis (Tanger), Lixus (Larache) et Volubilis. On trouve alors peu de trace de monuments d’envergure que les Romains ont laissés dans d’autres pays, comme les aqueducs, les ponts ou les grandes routes. Deux mondes coexistaient dans ce contexte : une civilisation romaine cloîtrée dans quelques villes-garnisons réservées aux militaires et aux fonctionnaires venus de la métropole et une population qui a gardé intacts ses coutumes, ses traditions et ses dialectes. Les marques de la présence romaine se sont amoindries et effacées avec le rétrécissement de l’empire et l’arrivée de nouveaux conquérants. Vers 429, les Vandales, hordes de tribus germaniques dont le nom est synonyme de destruction, déprédation et pillage, ont envahi le Maroc à la recherche de terres fertiles et de ressources naturelles. Ils se dirigent après vers l’est, pour atteindre l’ancienne Carthage, et ne laissent derrière leur passage que désolation et ruines. Malgré une présence de plus d’un siècle en Afrique du Nord, les Vandales ne laisseront que peu de traces de leur passage au Maroc. Les Byzantins, héritiers de l’empire romain, essayeront de restaurer la gloire et le prestige de leurs ancêtres en partant à la reconquête du Maghreb. Mais ils n’auront que peu de réussite au Maroc et leur zone d’influence est restée limitée à Tanger et Sebta, en raison de la forte résistance opposée par les tribus berbères. Le champ était alors ouvert à de nouveaux conquérants, venus d’Orient, galvanisés par leur religion qu’ils ont pour ambition de répandre et y convertir d’autres peuples : les Arabes.

Quand l’islam débarqueAprès la mort du prophète Mohammed, les musulmans vont se lancer, tous azimuts, dans des conquêtes fulgurantes et rapides, avec des troupes légères et peu fournies en hommes et en armes. En quelques mois seulement et avec une petite armée composée de 4000 hommes, les guerriers arabes ont pu venir à bout des Byzantins en Egypte et annexer l’ancienne terre des pharaons au jeune empire musulman. Mais les choses sont différentes et compliquées au Maghreb face à la farouche résistance berbère. Pour l’armée musulmane, il a fallu plus d’un demi-siècle de combats, de raids et de négociations pour contrôler définitivement l’Afrique du Nord : autant de temps nécessaire pour conquérir la Syrie, l’Egypte, l’Iran et l’Espagne réunis ! Oqba Ibn Nafiî, personnage légendaire et combattant fervent et obstiné, symbolise la dureté de la tâche et la violence de la résistance opposée par les Berbères. Nommé par le calife Yazid en 669, Oqba s’est lancé dans une vaste offensive générale au Maghreb. Après avoir défait les Byzantins et construit Al Kairouan, la ville tunisienne, il pousse un long raid vers la pointe occidentale du Maghreb et atteint Tanger, puis chevauche jusqu’au sud du Maroc, pour arriver aux “pays des Noirs”. Selon la légende rapportée par des historiens musulmans, Oqba avança avec son cheval dans les flots de l’Océan Atlantique, ou “la mer des ténèbres” selon l’appellation arabe, et prend à témoin Dieu que s’il avait la possibilité d’étendre sa conquête au-delà de l’océan il n’aurait pas hésité à le faire. En route vers Al Kairouan, Oqba est tué, près de Biskra en Algérie, dans un combat contre la tribu des Awraba dirigée par Kousseila, le chef berbère. Après la mort de Oqba, de nouvelles campagnes militaires musulmanes sont menées au Maghreb et peu d’entre elles atteignent le Maroc. L’alliance des Byzantins et des tribus berbères a donné de la tablature aux troupes envoyées par les califes de Damas et retardé la domination musulmane sur l’Afrique du Nord. Une femme s’est illustrée dans la résistance des tribus berbères de l’Aurès, en Algérie, et a obligé les troupes musulmanes à battre en retraite. Dihiya ou Damiya, selon les sources, surnommée Kahina par les historiens arabes, est passée dans la mythologie maghrébine pour avoir fait face, jusqu’à sa mort, à l’avancée des troupes musulmanes. Mais une nouvelle et dernière offensive a été l’œuvre de Moussa Ibn Noussaïr en 704. Impétueux, fin négociateur et chef militaire déterminé, Moussa Ibn Noussaïr réussit à conquérir tout le Maroc et à convaincre les Berbères de se convertir à l’islam. La nouvelle religion adoptée par les Berbères leur offre alors un lien solide permettant de transcender les divisions locales et tribales et de cimenter les différentes composantes de la population vivant au Maroc. Beaucoup de Berbères ont intégré l’armée musulmane et participé activement et ardemment aux conquêtes menées sous la bannière de l’islam. L’un d’entre eux, Tariq Ibn Ziad, sera même chargé par Moussa Ibn Noussaïr de lancer les troupes à la conquête de l’Espagne. Tout un symbole.
Chronologie
• 10 000 Av. J.-C : Apparition des ancêtres directs des Berbères au Maroc.
• 1100 Av. J.-C : Les Phéniciens installent leurs premiers comptoirs commerciaux.
• 203 Av. J.-C : Massinisa fonde le royaume numide.
• 105 Av. J.-C : Bocchus 1er étend le royaume des Maures vers l'est.
• 40 Ap. J.-C : Assassinat de Ptolémée, dernier roi maure.
• 285 : Les Romains se replient et abandonnent le Maroc.
• 430 : Début de l'invasion vandale.
• 533 : Les Byzantins tentent de reconquérir le Maghreb.
• 681 : Oqba ibn Nafiî arrive au Maroc.
• 711 : Tariq Ibn Ziad débarque en Espagne.

Origines. Le juif en nousLes plus vieux témoignages sur l'ancienneté de la présence juive au Maroc sont épigraphiques. Ce sont ceux des inscriptions funéraires en hébreu et en grec qui ont été trouvées dans les ruines de Volubilis et qui remontent au IIème siècle avant notre ère. Mais la tradition orale des juifs du Maroc fait remonter la présence juive à l'arrivée des premiers bateaux phéniciens, il y a donc plus de 3000 ans ! Durant toute une partie de l'époque phénicienne, puis durant toute la présence romaine, les villes de Chellah (Salé), de Lixus (Larache), de Tingis (Tanger) ont été très certainement des centres de négoce importants pour les juifs du Maroc, qui pratiquaient surtout le commerce de l'or et du sel. Lorsque les Vandales surviennent, ils trouvent des alliés parmi les juifs, et ceux-ci vont connaître une totale liberté de culte pendant un siècle. Mais quand, en 533, le général Bélisaire est envoyé en Afrique du Nord par Justinien, l'empereur de Byzance, pour chasser les Vandales, les juifs vont entrer dans une période très douloureuse de leur histoire. A la veille de la conquête musulmane, plusieurs tribus juives berbères sont identifiées à travers tout le Maghreb. La conquête musulmane sera pour eux une libération. Rachid Benzine

Portraits. Figures historiques
Bocchus 1er
Descendant d'une lignée de rois maures qui régnaient sur une grande partie du Maroc actuel. Il réussit, en s'alliant aux Romains, à étendre son royaume et le territoire des tribus maures vers l'est au détriment de ses voisins berbères de Numidie. Après sa mort en 80 avant J-C, le royaume est partagé entre ses deux fils, Bocchus II et Bogud qui vont perpétuer la politique de l'alliance avec l'empire romain.

Juba IIRoi berbère, élevé dès son enfance à Rome sous la protection de Jules César. Réputé pour ses qualités intellectuelles supérieures, les Romains vont le nommer souverain d'Afrique du Nord, où il va rétablir la stabilité et rallier Maures et Numides autour de lui. Il épousa une jeune princesse, fille de la célèbre reine égyptienne Cléopâtre et du général romain Antoine. En plus de son talent politique, Juba II était un érudit et auteur d'une œuvre scientifique considérable, selon les historiens romains. Mort en 23 après J-C, il laissa derrière lui un royaume prospère et pacifié.

KahinaBeaucoup de choses ont été écrites et dites sur cette reine berbère, où se mêlent légendes, faits historiques et volonté d'en faire le symbole de différentes causes. Chef des tribus berbères de l'Aurès, elle participa activement à la résistance face aux troupes de l'armée musulmane. Les récits et témoignages divergent sur la religion de “la prêtresse” selon le surnom donné par les Arabes : certains prétendent qu'elle était juive, d'autres affirment qu'elle était chrétienne ou païenne. Après des années de combat contre les conquérants musulmans, Kahina est tuée en 698 par le général Hassan Ibn Nouâman. Avant sa mort, elle demande à ses fils de se convertir à l'islam et de rejoindre les rangs de ses adversaires. L'un de ses fils est même nommé chef des troupes musulmanes et combattra aux côtés de ses anciens ennemis et nouveaux coreligionnaires.

Tariq Ibn ZiadSymbole de la conversion des Berbères à l'islam et du rôle qu'ils vont jouer dans les conquêtes musulmanes, notamment en Europe. Selon les historiens, Tariq était un captif maure affranchi par Moussa Ibn Noussaïr, qui fera de lui son proche lieutenant. Moussa Ibn Noussaïr charge alors Tariq de lancer les troupes de l'armée musulmane, composée en grande partie par des Berbères, à la conquête de l'Espagne. Tariq s’acquitte brillamment de sa mission et défait en quelques batailles décisives les Wisigoths, qui régnaient en maître sur la péninsule ibérique.

Tingis, Zilis, Tamudem…Quand le Maroc était chrétienLe christianisme est attesté en Afrique du Nord à partir du IIème siècle. Il est vraisemblablement arrivé avec la migration de commerçants, de soldats, peut-être de missionnaires venus de l'Empire romain. Le premier document qui nous informe de cette présence chrétienne est constitué par les “Actes des martyrs scillitains”, qui rapportent la condamnation à mort, en juillet 180, d'une dizaine de chrétiens de la ville de Scillium (l'actuelle Kasserine, en Tunisie) qui ont refusé de participer aux cérémonies païennes romaines fondant la vie civique. Mais l'histoire du christianisme au Maghreb est d'abord liée à la personnalité du Carthaginois Tertullien. Né païen, baptisé vers l'an 195, membre de l'élite de la ville créée par les Phéniciens, il va se montrer un grand organisateur et un grand défenseur de l'Eglise d'Afrique. Il nous a laissé une œuvre écrite qui nous permet d'avoir une idée des problèmes qui se sont posés au développement de la foi chrétienne.
En ce qui concerne l'arrivée du christianisme au Maroc, on peut raisonnablement penser qu'elle a pour origine l'Espagne romaine à laquelle la Maurétanie Tingitane a été liée. C'est encore un martyr qui constitue la première preuve de cette présence : le centurion Marcellus, qui eut la tête tranchée, à Tanger en 298, pour avoir décidé d'abandonner la fonction militaire en raison de son appartenance à la foi chrétienne. Le christianisme, en Maurétanie Tingitane comme ailleurs au Maghreb, a dû se développer d'abord chez les habitants d'origine romaine. Puis il a pu toucher des Berbères latinisés (comme le sera, au IVème siècle, le grand Augustin d'Hippone) et d'autres Berbères et Maures. L'extension du christianisme a dû être assez vaste, si l'on en juge au nombre d'évêchés qu'a comptés le Maroc romain : Tingis (Tanger), Zilis (Asilah), Septem (Sebta), Lixus (Larache), Tamudem (Tétouan), Salensis (Salé)... Le site archéologique de Volubilis a livré de nombreux témoignages de la présence chrétienne : des lampes, des céramiques ornées du sigle du Christ, ou de la croix, ou encore de colombes ou d'agneaux. A Aïn Regata, près d'Oujda, on a découvert une table d'autel en marbre. A Lixus, on peut voir les traces d'une petite basilique chrétienne. Par ailleurs, il existe des traditions selon lesquelles des populations noires de la région du Draâ, près de Zagora, auraient été converties au christianisme entre le IIIème et le VIème siècles, par l'intermédiaire de noirs d'Ethiopie liés à l'Eglise copte d'Alexandrie... Vers la fin du VIIIème siècle, ceux-ci seraient rentrés en guerre avec les juifs implantés également dans cette région, qui les auraient défaits. Rachid Benzine