uridique - Procédure devant le grand jury, accusations retenues, saisie de 18 noms de domaines, polémique et arguments politiques, les effets mondiaux pour les internautes de la fermeture... Décryptage des principaux faits reprochés à MegaUpload et les clés du débat en France.
La procédure : des accusations, mais pas encore de procès
L’opération à l’encontre de MegaUpload, Vestor Limited et de plusieurs membres de ces sociétés fait suite à une décision du « grand jury » du tribunal d’Alexandria en Virginie (Etats-Unis). A ce stade, il ne s’agit pas d’un procès, le « grand jury » tenant lieu dans le droit américain de chambre d’accusation.
Le 5 janvier 2012, les jurés (ils doivent être au moins 16) se sont prononcés sur les éléments exposés par le procureur. Ils ont donc estimé que les éléments à charge étaient suffisants pour une mise en accusationformelle («indictment»).
Accusations : Des infractions qui vont au-delà des atteintes au droit d’auteur
D’après la lecture du lieutenant-colonel Eric Freyssinet sur son blog « criminalités numériques », cinq infractions principales ont été retenues dans cette affaire : association de malfaiteurs en vue de commettre des actes de racket, d’infraction à la propriété intellectuelle et de blanchiment d’argent.
A ces accusations se rajoutent deux autres infractions (présumées) pour atteintes au copyright. Pour soutenir ces accusations, le FBI explique dansun communiqué que les sites du groupe MegaUpload ont illégalement reproduit et distribué des copies de contenus protégés par le droit d’auteur, dont des films, « souvent avant leur sortie théorique », et ce à très large échelle (massive d’après les autorités américaines).
La mise en ligne de fichier au cœur de l’affaire
Selon l’acte d’accusation, les accusés ont réalisé leur « actions illégales » en s’appuyant sur un business model conçu spécifiquement dans le but de promouvoir, auprès de millions d’utilisateurs, la mise en ligne, l’upload, des plus populaires contenus sous copyright.
MegaUplolad est en outre accusé d’avoir pour cela récompensé financièrement les internautes mettant en ligne ces contenus et générant du trafic (notamment par l’intermédiaire de sites de liens), tout en ayant connaissance des infractions à la propriété intellectuelles ainsi commises.
Les sites de MegaUpload peuvent-ils s’abriter derrière le statut d’hébergeur ? Pas d’après les autorités américaines qui reprochent en effet aux accusés de n’avoir pas fermé les comptes des utilisateurs identifiés comme diffusant des fichiers sous copyright.
Par ailleurs, MegaUpload se voit reproché d’avoir de manière sélective répondu aux demandes de retraits. Ainsi, d’après le FBI, à la demande d’un ayant droit, le service en ligne supprimait un lien vers un fichier illicite, mais sans supprimer la source sur ses serveurs. Ce même fichier demeurait ainsi accessible par l’intermédiaire d’autres liens.
Comment MegaUpload a-t-il été déconnecté ?
Si aucune condamnation n’a à ce stade été prononcée, des mesures ont néanmoins d’ores et déjà été prises à l’encontre de MegaUpload, et de plusieurs de ses cadres, dont son fondateur Kim Dotcom, interpellé en Nouvelle-Zélande, et sous le coup d’une demande d’extradition vers les Etats-Unis.
Pour décapiter MegaUpload, les autorités américaines ont visé ses infrastructures, dont de nombreux serveurs et disques durs (aux Etats-Unis, Pays-Bas et au Canada). Le tribunal d’Alexandria a également ordonné la saisie de 18 noms de domaine, principalement en « .com ».
Un enrichissement personnel ?
D’après le FBI, les accusés ont grâce à leur activité généré plus de 175 millions de dollars de profits illégaux. 42 millions de dollars d’actifs ont d’ores et déjà été gelés, dont de nombreux biens appartenant au fondateur de MegaUpload.
Kim Dotcom, arrêté par la police néo-zélandaise, possède ainsi une demeure en Nouvelle-Zélande estimée à 30 millions de dollars. Sur sa propriété, 18 véhicules de luxe ont également été saisis, dont une Lamborghini et une Maserati.
Des chiffres colossaux
Les chiffres avancés par le FBI (qui peuvent donc être contredits) sur la galaxie MegaUpload ont de quoi donner le vertige :
- 150 millions d’utilisateurs enregistrés
- 50 millions de visiteurs uniques par jour
- Un trafic égal à 4% du trafic mondial d’Internet
- 25 petabytes de stockage et 525 serveurs mis à disposition par l’hébergeur Carpathia (US)
- 630 serveurs loués aux Pays-Bas auprès de Leaseweb
- 110 millions de dollars auraient transité sur le compte PayPal de MegaUpload (novembre 2005 à juillet 2011)
Procédure américaine pour effets internationaux
L’action contre MegaUpload a été engagée aux Etats-Unis, mais ses effets sont eux bien internationaux. En saisissant 18 noms de domaines, les autorités américaines imposent d’une certaine façon leur procédure, et ses conséquences immédiates, aux autres Etats et à leurs internautes.
« Les autorités américaines ont clairement la mainmise sur toutes les extensions numériques qui sont gérées par des prestataires américains ou situés aux États-Unis. On est en plein cœur de la problématique sur le droit applicable lorsqu'on parle de nom de domaine, il y a un vrai conflit de juridiction » s’est d’ailleurs inquiété l'adjoint au directeur général de l’Afnic,Loïc Damilaville.
Du côté des sociétés d’auteurs et de producteurs françaises, ces effets à l’international de la fermeture de MegaUpload sont au contraire accueillisavec satisfaction. Sans jugement sur le territoire français, MegaUpload est désormais fermé à 5,5 millions de visiteurs uniques par mois.
Opération dissuasive et coup de pouce à l’offre légale ?
Parmi les utilisateurs orphelins, les consommateurs de contenus illicites se tourneront-ils pour autant vers des services légaux ou vers des alternatives à MegaUpload ? Non, selon le président du Conseil National du Numérique, Gilles Babinet, pour qui le succès du site est d’abord la conséquence de l’absence d’une « offre légale de films à la demande (VoD) digne de ce nom. »
Bien qu’épargnées pour le moment, les alternatives à MegaUpload ne sont elles pas restées indifférentes. L’ampleur de l’action du FBI a manifestement eu un effet dissuasif. FileSonic a ainsi coupé sa fonction de partage. Les sites uploaded.to, VideoBB et Fileserve ont aussi procédé à des ajustements. Le Figaro parle même d’un « vent de panique chez les concurrents de Megaupload. » Panique qui ne touche pas RapidShare, qui exclut tout changement.
Une fermeture prétexte à un débat politique en France
En France, les candidats à la présidentielle ont rapidement réagi à la fermeture de MegaUpload, Nicolas Sarkozy pour s’en réjouir, les autres généralement pour dénoncer la politique numérique du gouvernement et Hadopi.
Cette fermeture médiatisée fait ainsi office d’opportunité pour les différents candidats de défendre leurs propositions et/ou de réitérer leurs critiques à l’encontre de la Haute autorité - dont la présidente, Marie-Françoise Marais, a qualifié la fermeture de MegaUpload de « bonne chose ». Une réaction inhabituelle, la Hadopi ayant toujours refusé de réagir à des procédures en cours.