Des câbles WikiLeaks révélés par Rue89 racontent les hésitations de la France face à Gbagbo et son soutien discret à Ouattara.
Depuis l'élection de Nicolas Sarkozy, les diplomates français ont régulièrement tenu leurs homologues américains au courant de la situation en Côte d'Ivoire. Et des doutes de l'Elysée et du Quai d'Orsay sur l'attitude à adopter.
Jusqu'où peut-on faire pression sur Laurent Gbagbo sans le brusquer ? Et jusqu'où soutenir Alassane Ouattara sans que cela devienne trop voyant ?
Rue89 a pu consulter les câbles confidentiels envoyés par l'ambassade des Etats-Unis à Paris entre 2007 et le début de l'année 2010.
Gbagbo ne croit pas aux élections « régulières »
Pour Laurent Gbagbo, l'élection de Nicolas Sarkozy est une mauvaise nouvelle : si
Jacques Chirac n'appréciait guère Alassane Ouattara, le nouveau président français est considéré comme proche de l'opposant. Lors de sa première rencontre avec son homologue ivoirien, Nicolas Sarkozy va donc le rassurer sur ses intentions.
La rencontre a lieu le 8 décembre 2007 à Lisbonne, en marge d'un sommet de dirigeants européens et africains. Et le 17 décembre, Romain Serman, membre de la cellule diplomatique de l'Elysée, rend compte de la discussion à ses interlocuteurs américains à Paris. Le câble adressé à Washington explique :
« Serman a dit qu'un des buts de la rencontre était que Gbagbo ne puisse plus insinuer que Sarkozy n'aimait pas Gbagbo ou qu'il avait peur de lui, une idée que Gbagbo a utilisée dans ses tentatives de manipulation de l'image de la France en Côte d'Ivoire.
Sarkozy voulait dissiper l'impression que lui ou la France étaient réticents à traiter avec Gbagbo. Ce n'est plus un problème après leur rencontre, selon Serman. »
Tous les problèmes ne sont pourtant pas réglés, comme le prouve une scène étonnante racontée aux Américains par le conseiller de Nicolas Sarkozy.
En mars précédent,
l'accord de Ouagadougou a organisé un partage des pouvoirs avec les rebelles des Forces nouvelles : leur chef, Guillaume Soro, est devenu Premier ministre de Laurent Gbagbo. Nicolas Sarkozy demande au président ivoirien de passer à l'étape suivante, l'organisation d'une élection présidentielle, repoussée à plusieurs reprises depuis 2005. Et de garantir le sérieux de cette élection.
La réponse de Laurent Gbagbo est surprenante. L'Ivoirien prend à témoin le Président du Burkina Faso, Blaise Compaoré, qui a organisé le compromis signé à Ouagadougou et assiste à la rencontre avec Nicolas Sarkozy :
« Serman a dit que Gbagbo avait tenté de souligner que les élections africaines étaient souvent “irrégulières”, en affirmant (en présence de Compaoré) que même les élections au Burkina Faso n'étaient pas allées complètement sans problèmes. Compaoré n'a pas apprécié cette remarque, il en a démenti la teneur et Sarkozy a regardé Compaoré et Gbagbo discuter des mérites des élections et du système électoral au Burkina Faso. »
Rencontre discrète entre Ouattara et Sarkozy
Selon les câbles américains que nous avons consultés, les diplomates français se persuadent très vite que Laurent Gbagbo n'a pas l'intention d'organiser l'élection présidentielle. En tout cas, pas tant qu'il court le risque de la perdre.
L'élection aurait dû avoir lieu fin 2008, mais elle a été à nouveau reportée. Cette fois-ci, le premier tour est fixé au 29 novembre 2009. Et Laurent Gbagbo cherche toutes les excuses pour repousser l'échéance, explique Romain Serman à ses interlocuteurs américains le 4 septembre.
Ce conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy a ainsi reçu le jour même une étrange visite, raconte le câble envoyé à Washington. Une avocate envoyée par le camp Gbagbo, simplement décrite comme « une jeune femme franco-ivoirienne », est venue lui suggérer d'attendre le désarmement des rebelles avant toute élection.
Cette demande de dernière minute est jugée peu « crédible ». A l'Elysée, on n'exclut pas que Laurent Gbagbo aille plus loin. Jusqu'à organiser un coup d'Etat… contre lui-même :
« Gbagbo pourrait envisager d'autres tactiques comme, selon des sources libériennes que Serman ne nomme pas, monter un “faux coup d'Etat” contre lui-même pour créer une excuse pour reporter les élections jusqu'à ce que cette “nouvelle menace militaire/sécuritaire soit réglée”.
Serman a dit qu'il avait dit à l'avocate de Gbagbo qu'il était au courant de ce projet et qu'il lui avait conseillé d'y renoncer. Serman a dit que le but de Gbagbo était de repousser l'élection aussi longtemps qu'il lui paraîtra possible qu'il puisse la perdre. »
Laurent Gbagbo pense en fait que le temps joue contre ses deux principaux rivaux, l'ex-président Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara. Le premier serait victime de son âge, et le second aurait besoin d'argent :
« L'analyse de Serman est que l'objectif de Gbagbo est de continuer à créer des excuses pour reporter les élections afin d'“épuiser” ses principaux rivaux Bédié, qui pourrait bientôt être perçu comme trop vieux pour mener une campagne efficace [il est né en 1934,... lire la suiote d'articles :
http://www.rue89.com/2011/04/12/cote-divoire-comment-gbagbo-a-joue-avec-les-nerfs-de-sarkozy-199653