mercredi 1 août 2012

L’ère des dernières réformes d’un Empire chancelant …

La Constitution de 1876 marqua, à la fois, le point culminant et la fin des « tanzimât ». Le 5 février 1877, le sultan Abd-al Hamid congédiait Midhat Pacha pour haute trahison. La Constitution elle-même, après une première ébauche d’application, où les députés firent preuve d’un certain esprit d’indépendance à l’égard du sultan, fut, non pas abrogée, mais suspendue, en février 1878 ; elle devait le rester jusqu’au 21 juillet 1908.
On peut à cet échec des tanzimât d’inspiration occidentale, chercher bien des raisons. L’attachement à la religion restait certes grand dans l’opinion publique, même parmi les partisans des réformes, qui n’osaient ni ne voulaient aller trop loin ni trop vite. Bien caractéristique, à cet égard, est l’attitude d’un homme comme Ahmad Djewdet Pacha (m1895), qui avait reçu une solide formation traditionnelle, travailla activement à la rédaction de la Majalla, et se fit aussi l’histoire du Prophète et des trois premiers califs (Abou-Bakr – Omar et Othman) et des Ottomans.
Adversaire de Midhat Pacha sur le plan des réformes intérieures, il estimait, au surplus, qu’une alliance de la Porte avec l’Autriche conservatrice pouvait être le moyen d’arrêter la menace russe dans les deux vieux empires que l’agitation des minorités slaves inquiétait.
Les résistances venaient aussi des minoritaires. « Les Chrétiens, écrivait un observateur contemporain, sont encore considérés et traités comme une classe subalterne et dangereuse. Cette distinction persistante et cette méfiance ont plusieurs causes. Lorsqu’on les a expliquées par un certain fanatisme, on n’a nommé que la moindre et il faut rejeter l’importance qu’on lui accorde comme tant de vieilles erreurs qui ont longtemps constitué le fonds commun des données de l’Occident sur un empire incomplètement étudié. La vérité est qu’il y a, en Turquie, un peuple vainqueur et des peuples vaincus et que le droit de gouverner ces derniers reste, aux yeux des Turcs, un privilège naturel de la conquête. Cette assertion est si fondée que les Musulmans arabes, turcomanes, kurdes, albanais, n’ont guère plus de part aux hautes fonctions de l’Etat que les Arméniens ou les Bulgares et qu’ils sont même plus malmenés que les Grecs.
La religion chrétienne jouit d’une liberté à peu près complète et si les Grecs, les Catholiques, les Arméniens ont encore besoin de protection dans l’exercice de leur culte, c’est de leur propre fanatisme et de leurs rivalités intestines qu’il faudrait surtout les préserver.
Les puissances européennes enfin, fortes de leur supériorité technique grandissante et de leur prépondérance politique, elles-mêmes divisées par leurs convoitises particulières, étaient beaucoup moins soucieuses de travailler sincèrement à la reconstruction d’un empire chancelant que de favoriser son éclatement pour faciliter leurs expansions, grossier leurs clientèles ou de laïciser un Etat dont la structure traditionnelle pouvait apparaître comme de nature à gêner leurs entreprises de pénétration économique.
La dégénérescence et l’extension du régime capitulaire donnaient, enfin, à ceux qui en étaient les bénéficiaires des privilèges hors de proportion avec les services rendus. A toutes ces menaces, le régime « hamidien » crut trouver la parade dans un absolutisme qui acheva la cause de l’Empire Ottoman avec le monde arabe, en dépit de tous les efforts que le sultan-calife devait faire pour réaliser, autour de sa personne, une unité qui, jamais, tout au long de l’Histoire, n’avait réussi à prendre corps.