jeudi 9 août 2012

Le Maroc, gendarme de l'Europe ? A quel prix ?


L'accord de réadmission des émigrés entre le Maroc et l'UE traîne depuis près de 12 ans. Les négociations sont au point mort. Hormis une petite contrepartie financière, l'accord avec l'UE ne présente pas de réels avantages pour le Maroc. Entre-temps, des accords bilatéraux avec l'Espagne, l'Allemagne, l'Italie, la France... continuent de régir les questions de l'émigration clandestine.
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Ce que notre diplomatie pensait tout bas, Saâdeddine El Othmani l’a exprimé ouvertement devant le Parlement : en matière d’émigration, le Maroc refuse d’être le gendarme de l’Europe. Mardi, 23 juillet, lors d’un passage devant la Chambre des conseillers, le ministre des affaires étrangères a annoncé que «sur la question migratoire, le Maroc refuse de jouer le rôle de gendarme de l’Europe, et c’est la raison pour laquelle nous avons décidé de ne pas signer l’accord relatif à la circulation des personnes». Lequel accord comporte, selon le ministre, des dispositions «inappropriées».
Il faut d’abord préciser que le ministre s’est un peu emmêlé les pinceaux, en matière de sémantique. Il ne voulait certainement pas parler d’un «accord de libre circulation de personnes», qui n’est en fait pas encore un accord mais un processus lancé dans la foulée du printemps démocratique qu’ont connu certains pays de la rive sud de la Méditerranée. Saâdeddine El Othmani voulait parler en fait d’un «accord de réadmission» en négociation depuis plusieurs années entre le Maroc et l’Union européenne. Quoi qu’il en soit, c’est la première fois que le Maroc réagit de la sorte. 

Cet accord de réadmission a été discuté pendant plus d’une décennie sans aboutir à du concret. C’était en effet vers la fin de l’année 2000 qu’un projet d’accord Maroc-Union européenne a été soumis, officiellement, aux autorités marocaines par la Commission européenne. Dans les faits, il s’agit d’une «communautarisation» d’une série d’accords et de conventions déjà conclus par le Maroc de manière bilatérale avec des pays européens. Le Royaume est déjà lié, en fait, par un accord de réadmission avec l’Espagne, l’Allemagne et l’Italie. Il a également signé un protocole de réadmission avec la France et des protocoles similaires avec la Belgique et les Pays-Bas. Tous ces textes, toujours en vigueur, portent sur les conditions de réadmission des émigrés clandestins d’origine marocaine interceptés dans les pays signataires. Ils ne posent pas de problème en soi, c’est plutôt leur remplacement par l’accord communautaire avec l’UE qui bloque. En effet, explique ce haut responsable des Affaires étrangères, «il y a certaines difficultés d’ordre technique notamment dans l’articulation entre l’accord Maroc-UE et les accords bilatéraux avec les pays partenaires». Mais, concrètement, que prévoit ce nouvel accord ? A quelles obligations soumet-il le Maroc ? Quels sont ses avantages pour notre pays ? Et surtout qu’est-ce qui a retardé sa conclusion, sachant qu’il fait désormais partie du package relatif au «Statut avancé» ? 

Pour la réadmission des Marocains, le problème ne se pose pas

Les négociations étant secrètes, il est difficile de connaître les termes exacts de la version actuelle du projet de l’accord. Mais, selon la mouture initiale, le projet s’est fixé comme objectif d’«établir des procédures rapides et efficaces d’identification et de renvoi des personnes qui ne remplissent pas, ou ne remplissent plus, les conditions d’entrée, de présence ou de séjour sur le territoire du Maroc ou l’un des Etats membres de l’UE et faciliter le transit des personnes dans un esprit de coopération». Concrètement, comme le stipule l’article 2 de ce projet : «Le Maroc réadmet, à la demande d’un Etat membre de l’UE et sans formalités, toute personne qui, se retrouvant sur le territoire de l’Etat membre requérant, ne remplit pas ou ne remplit plus les conditions d’entrée, de présence ou de séjour en vigueur, lorsqu’il est établi ou valablement présumé, sur la base du commencement de preuve fournie, la nationalité du Maroc». Premier hic, cette présomption ou début de preuve étant suffisante pour les Etats membres pour exiger l’extradition, pose un problème au Maroc puisqu’il doit à chaque fois produire, sans tarder, les documents nécessaires, pour prouver la nationalité de l’immigrant. 

Faire le gendarme en contrepartie de quelques subsides et de visas pour étudiants et hommes d’affaires

Mais, globalement, pour ce qui est des ressortissants marocains, le problème n’est pas posé. «Contrairement à la réadmission des Marocains qui est réglée, c’est celle des ressortissants des pays tiers ayant transité par le Maroc qui ne l’est pas», affirme notre source. Là encore, «les moyens de preuve» sont l’un des points sur lesquels bute cet accord, précise ce haut responsable du ministère des affaires étrangères. Ainsi, le Maroc exige une preuve formelle que le clandestin candidat à la réadmission ait réellement transité par le Maroc. Une clause que l’accord ne prévoit pas. Les migrants clandestins des pays tiers, les Subsahariens particulièrement, représentent un problème pour les deux côtés. Or, pour Bruxelles, il ne peut y avoir d’accords séparés. L’accord de réadmission perd tout son intérêt lorsqu’il n’inclut pas la réadmission des ressortissants des pays tiers surtout dans les cas des pays de transit migratoire comme le Maroc. Notons que le projet d’accord en cours de négociation concerne non seulement les ressortissants nationaux et ceux des pays tiers, mais aussi les apatrides, qui «sont en possession d’un visa ou d’un permis de séjour en cours de validité émis par le Maroc».


Pour le Maroc, il n’est pas question de réadmettre aussi facilement les Subsahariens, qu’ils soient des clandestins ou ayant bénéficié d’un visa ou un permis de séjour marocain. Et ce, pour la simple raison que «pour que cet accord soit accepté, il doit être intégré dans une approche globale et régionale. Il faut que l’UE signe des accords similaires avec les pays de la région et avec les pays émetteurs de l’émigration clandestine», affirme notre source des affaires étrangères. 
Or, pour le moment, l’Union européenne vise plutôt comme objectif de faire en sorte que le Maroc accomplisse deux missions principales. La première étant de retenir ses ressortissants dans son propre territoire. La seconde mission qui lui est assignée par cet accord est d’agir en sous-traitant sécuritaire, faire un travail de contrôle, de dissuasion, de traque et de reconduction aux frontières des ressortissants des pays subsahariens candidats à l’émigration vers l’Europe. En d’autres termes, être le gendarme de l’Europe, dans la rive sud de la Méditerranée. Avec bien sûr tout ce que cela suppose comme effort humain, coûts financiers et surtout une lourde facture à payer en matière des droits de l’homme.

Tout cela pour quelle contrepartie ? La Commission européenne, elle-même, reconnaît qu’au départ, l’approche de l’UE consistait à inviter les pays tiers à négocier un accord de réadmission sans leur offrir de contrepartie. Depuis, les responsables européens se sont ravisés. Les négociateurs de la Commission européenne mandatés par l’UE trimbalent désormais dans leur musette quelques mesures d’incitation. Des mesures d’assouplissement de visas (pour les professionnels et les étudiants) pour commencer et quelques subsides pour aider à la réintégration des nationaux réadmis et au refoulement vers leurs pays des ressortissants des pays tiers, les Subsahariens en l’occurrence. 

Sauf que, côté financier, l’UE ne propose pas grand-chose, elle puise dans un budget très limité (54 millions d’euros par an) destiné initialement à financer des actions de coopération dans le monde entier, pour satisfaire les besoins d’une douzaine de pays et entités avec lesquels elle a engagé des accords de réadmission. 
Bref, pour reprendre les termes de ce haut responsable des affaires étrangères, «pour le moment, l’accord ne présente pas de réel avantage pour le Maroc, il profite plutôt à l’Union européenne». Les négociations ne sont pas pour autant arrêtées. Il faut avouer, reconnaît la même source, qu’«il n’y a pas réellement de visibilité». Que faire alors ? «Nous attendons que l’Union européenne nous fasse des propositions», indique-t-on auprès du ministère.

Libre circulation au lieu de réadmission ?

Entre-temps, l’UE a décidé d’ouvrir des négociations avec certains pays de la rive sud de la Méditerranée -dont le Maroc- qui prévoit une possibilité de libre circulation des personnes. Ce dialogue a été entamé dans la foulée du printemps démocratique qu’ont connu certains de ces pays. «Ce processus prévoit, entre autres, la mobilité des personnes, pour encourager les pays du voisinage à mieux se développer et s’intégrer», confie ce haut fonctionnaire des affaires étrangères. C’est un processus décliné en trois dimensions, affirme la même source : mobilité, sécurité et migration. Mais, «pour le moment, nous n’en sommes qu’aux phases exploratoires de ce dialogue». Il semble toutefois que l’UE ait changé d’approche. «L’Union européenne propose une démarche plutôt équilibrée». Ainsi, contrairement aux accords de réadmission, ce dialogue propose ce qui a été désigné comme «migration circulaire». Il s’agit d’encourager les personnes à trouver un logement en Europe, mais aussi la paix et la sécurité sociale et jouir des droits des personnes installées. Cela devrait s’accompagner dans un premier temps par des mesures de facilitation des procédures d’octroi de visas. Il est prévu également d’aider les personnes émigrées à retourner dans leur pays, s’ils le désirent. La dimension sécuritaire, elle, est liée à la protection des frontières, à la lutte contre la migration clandestine et à la réadmission. 

Pour les Subsahariens, le problème reste donc posé, aussi bien pour le Maroc que pour l’UE. Cette dernière envisage, et c’est une recommandation adressée, il y a un peu plus d’une année, par la Commission européenne à l’UE et au Conseil de l’Europe, d’axer sa politique de réadmission sur les principaux pays d’origine, plutôt que de transit, des migrants en situation irrégulière.