dimanche 22 janvier 2012

Dominique Alderweireld, pas saumâtre


PORTRAITLe truculent «Dodo la Saumure», lié à l’affaire du Carlton, s’assume en tenancier de bordel, métier légal en Belgique.

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Par VIOLETTE LAZARD
Belgique, Tournai. Dominique Alderweireld, dit Dodo la Saumure, dans une de ses maisons closes. (© Olivier Touron)

Sur le mur en briques rouges, la loupiote de l’institut Béa est allumée. Signe que le bordel est ouvert. On y précède Dodo la Saumure, propriétaire de cette petite maison de Tournai (Belgique) à vingt minutes en voiture de la Grand-place de Lille. Mouvement de rideaux, une fine créature brune à l’accent lointain papote et nous observe depuis l’arrière-salle. Conciliabule dans l’ambiance tamisée de la salle d’attente.«On risque d’être dérangés ici, s’excuse Dodo, vêtu d’un rayonnant pull fuschia. On peut aller au jacuzzi ?»Le jacuzzi est vaste, les murs recouverts de céramiques. Des dizaines de préservatifs et un godemiché attendent sur la table basse. On espérait beaucoup de cette rencontre avec Dodo la Saumure, truculent proxénète belge connu comme le loup blanc depuis qu’il est soupçonné d’avoir fourni des filles à DSK et ses amis lillois. Mais on n’en attendait quand même pas tant.
Alors on lance un premier filet. Aux mailles bien larges. Le maquereau - que l’on fait mariner dans la saumure avant de le déguster, d’où le surnom de Dominique Alderweireld - est un gros poisson. L’affaire du Carlton ? «Je ne connais pas DSK mais j’aurais bien aimé, taquine Dodo, installé depuis vingt ans en Belgique, où la prostitution est tolérée. Je n’ai jamais demandé à une fille d’aller avec lui. Je viens de faire trois mois de prison pour rien, sous pression des magistrats lillois. Relier Dodo la Saumure à DSK, ça fait bien, non ?» Les délits qu’auraient commis Dodo restent flous. A-t-il employé des mineures ? Il nie. Des sans-papiers ? Jamais ! Son avocat français, Me Sorin Margulis, confirme. «Il n’a fait qu’exploiter des lieux de prostitution. Je ne suis pas en empathie personnelle avec son activité, mais c’est sa nature… Et avec moi, il a toujours été fidèle et correct.»
Dodo-les-yeux-bleus est aussi commerçant, même s’il ne roule plus sur l’or depuis que la justice a saisi ses comptes. «J’ai 5-6 établissements. Des bars, mais aussi des claques, comme ici où les clients choisissent une fille puis font leur affaire à l’étage. Il y a des salles de bains et des draps jetables pour l’hygiène.» Les tarifs : 60 euros les vingt minutes, 80 euros la demi-heure avec «satisfaction garantie.» On était prévenu. Dodo se pavane et fait sa pub. Il nous demande d’ailleurs de mettre son mail (dodolasomure@yahoo.fr). Comme il a «plein de projets» - un club de massage pour femmes, une association pour la sexualité des handicapés… - mais qu’il a «quand même 62 ans», Dodo cherche des investisseurs. Et veut qu’on l’aide à retrouver un certain «Nico, de Cannes-et-Clairan dans le Gard» dont il a «perdu le numéro de téléphone.»On aimerait bien lui dire que Libé, c’est pas la Poste mais Dodo est sympathique. Alors, on promet. On en profite pour resserrer les mailles du filet. Et traquer le Dominique Alderweireld, né à Annœullin (Nord), en plein cœur du bassin minier, qui sommeille en Dodo. «J’ai fait de très mauvaises études, j’avais pas envie», raconte celui qui se fiche qu’on le traite de mac mais qui ne se remet pas qu’un journaliste ait pu écrire qu’il était inculte. Lui, l’autodidacte qui multiplie références historiques, citations et mots savants. Même si l’ensemble est parfois désopilant.«J’ai pas eu le bac. Mais j’ai rencontré vers 18 ans une très jolie métisse vietnamienne qui tapinait un peu», poursuit-il. Ses parents, lui comptable, elle commerçante, le laissent quitter l’école. C’est même son grand-père, ancien mineur, qui lui donne les 800 euros pour ouvrir son premier bar à filles, «l’année de la mort de De Gaulle». Il a 20 ans. Quarante-deux ans plus tard, il n’a pas changé d’avis sur le métier. Et ne croit pas une seconde que les prostituées sont des femmes soumises. Il vit d’ailleurs avec l’une d’elle. «C’est un bon compagnon… qui fait très bien la cuisine, assure Béatrice Legrain, que DSK aurait tenté de suivre dans les toilettes lors d’une après-midi de «libertinage» à Paris. Il fait aussi très bien l’amour, voilà, je n’ai rien à cacher.» «Les filles ne sont pas là que pour l’argent. Je ne mets pas de micro dans les chambres, mais je sais que certaines aiment ça, ose-t-il. Elles ont du pouvoir sur les hommes. Et elles peuvent regarder la télé entre deux clients.»
Soit. Dodo a pourtant essayé de quitter ce business.«Après mon premier bar, j’ai tenté l’aventure aux Etats-Unis pour vendre des vêtements. Mais les femmes y étaient trop grosses.» Il revient vite en France, puis part en Côte-d’Ivoire, et débute à la fin des années 1970 une aventure surréaliste. Proche du pouvoir en place, Dodo vend des plans de maison, sans jamais en construire aucune, tout en arborant le titre officiel, breveté par le gouvernement, de «directeur de la construction en milieu rural.» Mais une révolution de palais l’expulse vers Paris, avec sa seule chemise sur le dos. Il tente les machines à sous. Passe quelques mois à l’ombre. Puis retourne à ses premiers amours, les bordels, en 1990. Et s’installe en Belgique qu’il ne quittera plus.
On fait l’ingénue. Et la morale dans tout ça ? La question le choque. Tant mieux, c’était le but. «Quelle morale ? Les bordels ont toujours existé, la femme de Périclès en tenait un. Et une femme qui attend l’argent de son mari, ce n’est pas de la prostitution, ça ?» Proxénète donc, et fier de l’être. «Je suis pas proxénète, je suis un taulier. Ici, les filles sont libres.»Assise dans l’arrière-salle où la peinture s’effrite, Rebecca, belle Black, confirme en attendant le chaland. «Les patrons ne sont là que pour vérifier que tout va bien au niveau de la sécurité, susurre-t-elle sans quitter son ordinateur des yeux. C’est un bon salon…» Elle aurait difficilement pu dire le contraire.
Sur un ton affable, la conversation continue. Et la confidence, brutale, arrive sans prévenir. «Quand j’avais 12 ans au pensionnat, un curé m’a fait une fellation, lâche Dodo, comme pour conclure le chapitre morale. Il m’a dit : "T’inquiète pas, c’est normal." Ça m’a servi !» Dominique ne l’a jamais dit à ses parents. «A cette époque, on n’en parlait pas.» Le mac à la peau dure cache donc une blessure ? «Non, y a même pas eu de pénétration, c’est pas grave quand même ! Et ça n’a rien à voir avec ce que je fais aujourd’hui.» Fin de la discussion.
Elle ne reprendra que plus tard, dans un petit bar du centre-ville où Dodo, mascotte de l’endroit, paye sa tournée. «Y a 800 bordels ici, pourquoi l’enfermer lui ?, demande Edith, l’une des serveuses, tout en découpant saucisson à l’ail et boudin blanc qu’elle dépose sur le comptoir. Il n’aurait pas dû aller en prison.» Alors tous les habitués du bar lui ont écrit et ont signé avec un pseudo digne de celui de Dodo. Le docteur est devenu «le charlatan.» Roger a rajouté «l’élégant», car «il ne sait pas s’habiller». Ils en rient encore aux éclats. Sauf un, qui badine avec moins de légèreté : «Si le curé ne t’avait pas sucé, t’aurais eu une vie chiante, normale, t’aurais jamais fait mac», provoque-t-il. Dodo nie. L’autre s’obstine. «Tu lui dois tout à ce saint homme. Je serais toi, je lui mettrai un cierge.» Dodo rit. Et enchaîne sur l’histoire des bordels à travers les siècles. En poisson qui sait passer entre les mailles des questions.
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